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Sagesse Bouddhiste
par Cyrille J-D. Javary


Les trois sagesses chinoises / Albin Michel







Né en Inde, au début du Vème siècle avant notre ère, le bouddhisme garde du terreau culturel indien de son époque deux principes : le samsara, doctrine de la transmigration des âmes selon laquelle tous les êtres vivants, y compris les dieux, sont engagés dans un cycle incessant de renaissances, et le karma, loi de la rétribution qui postule que chaque acte, bon ou mauvais, a une conséquence. Le bouddhisme rejette par contre la notion d'atman, principe spirituel et impérissable de l'être humain qui serait identique à l'Etre suprême et subirait, inchangé, les réincarnations. Pour le bouddhisme, la réalité spirituelle est, au même titre que la réalité matérielle, soumise au principe de l'impermanence : tout se décompose et se recompose sans cesse, il n'y a rien d'éternel. Le bouddhisme récuse également le système des castes - ce qui est sans doute l'une des causes de sa disparition en Inde - et affirme que l'ascèse et ses mortifications ne sont, pas plus qu'une vie d'excès, la bonne voie pour atteindre l'Eveil. C'est pourquoi la doctrine du Bouddha se présente comme la "Voie du milieu".





Le bouddhisme s'ordonne principalement autour de trois piliers : un homme, une loi et une communauté. L'homme est Siddharta Gautama, prince d'un petit royaume situé sur les contreforts du Népal. Parfois appelé Sakyamuni (littéralement le "sage du clan Sakya "), sa réalité historique ne fait aucun doute, même si les dates de sa vie (560-480) ne sont pas assurées à l'année prés. Il sera surtout connu sous le nom de Bouddha (en sanskrit "éveillé"). La Loi (en sanskrit dbarma) qu'il enseigne est résumée par les " Quatre Nobles Vérités" : la douleur est consubstantielle à la vie; la douleur a une cause qui est le désir, la soif d'existence; la douleur peut être abolie, en éteignant ce qui la cause; extirper en soi le désir de vivre délivrant de la roue des transmigrations, la délivrance de la douleur, le nirvana, s'obtient en suivant vie après vie le "Noble Sentier Octuple", c'est-a-dire les huit voies correctes d'existence; celles-ci s'ordonnent autour de trois pôles : moralité extérieure, concentration intérieure et discipline mentale, cette dernière servant à développer en soi le discernement nécessaire permettant de percevoir l'illusion de la réalité du monde et son caractère fondamentalement soumis au changement. Ce dernier point sera une grande porte d'accès vers le bouddhisme pour l'esprit chinois, formé depuis longtemps déjà à la continuelle transformation du yin-yang.


Observer le célibat, n'accomplir que des bonnes actions, pratiquer la contemplation méditative, répéter indéfiniment le nom de Bouddha permettent d'acquérir des mérites et ainsi d'avancer sur le chemin de la délivrance. Ceux qui se sentent prêts à mener ce genre de vie se détachent du monde et deviennent des moines. En quête d'apaisement plus que d'absolu, ils forment avec les laïcs une osmose organique. Le troisième pilier du bouddhisme est ainsi la communauté (sangha), qui réunit les religieux et les laïcs unis par un système d'échanges réciproques. En subvenant aux besoins matériels des moines qui en retour prient pour les donateurs, ces derniers espèrent que le fruit de leur générosité les fera accéder à une vie future moins douloureuse et, au bout du compte, à la délivrance finale de toute souffrance, le nirvana.





Qu'apporte le bouddhisme à la Chine ? La première des consolations que les missionnaires bouddhistes apportaient avec eux était la compassion, idée tout à fait nouvelle en terre impériale. Jamais, en effet, elle n'avait effleuré les philosophes de l'Antiquité, pas plus le doux Laozi que le droit Confucius. La compassion est pour nous ce sentiment par lequel on est d'une part porté à percevoir, à ressentir la souffrance d'autrui et, d'autre part, poussé à y remédier.


Dans le même ordre d'idées, le bouddhisme à fait découvrir aux Chinois une conception totalement nouvelle de la justice sociale et de l'au-delà. L'idéal confucéen - bien éduquer ses enfants dans le respect des rites de la piété filiale et du culte ancestral - ne suffisait plus, dans leur perspective, à assurer le repos de l'âme pour l'éternité. Le bouddhisme mettait l'accent sur la responsabilité individuelle, nonobstant les valeurs filiales : les fautes commises devenaient plus lourdes dans la mesure où il allait falloir en subir les conséquences durant plusieurs réincarnations et les criminels ne pourraient espérer aucune paix dans les temps au-delà qu'ils auraient à souffrir pour apprendre à modérer leurs passions, malgré les rites fidèlement rendus par leurs descendants. Au modèle de l'harmonie sociale, le bouddhisme substituait ainsi celui de la paix intérieure : le principe moral du karma (rétribution des actes) recueillait chez les gens du peuple soumis à l'arbitraire impérial un assentiment croissant dans la mesure où il mettait les classes laborieuses à égalité avec la société impériale devant la morale, égalité que le confucianisme d'Etat leur avait toujours refusée. Une fenêtre d'aménité s'ouvrait dans la muraille rigide à l'intérieur de laquelle s'était enfermée la société chinoise.


Le principe de la réincarnation karmique ne plaisait pas uniquement aux défavorisés. Les bons vivants, de leur coté, voyaient d'un très bon œil le fait que si ce que disaient les moines étrangers était vrai, ils allaient disposer non plus d'une seule vie, mais de plusieurs, pour assouvir tous leurs appétits avant d'y renoncer! C'est là une des marques du pragmatisme chinois qui sait toujours tirer un bienfait de ce qui nous apparait comme une restriction. L'un des exemples les plus démonstratifs de cette capacité réside dans ce rapport déférent et respectueux envers toutes les formes de vie que le bouddhisme apportait avec lui. Jusque-là, et cela a duré encore fort longtemps, la vie humaine était fort peu considérée. Confucius, par exemple, avait presque fait scandale lorsque, apprenant que ses écuries avaient brûlé, la première chose qu'il avait demandé avait été : "Y a-t-il des blessés?", ce sur quoi le Lun Yu remarque qu' " il ne s'enquit pas des chevaux", ce qui paraissait alors grotesque dans la mesure où un palefrenier coutait quatre fois moins cher qu'un cheval.


Mais les missionnaires bouddhistes allaient encore plus loin en prêchant qu'il fallait respecter toutes les formes de vie, humaines bien sûr, mais aussi animales. Voila un principe on ne peut plus exotique pour un peuple qui a toujours considéré les animaux uniquement dans le cadre de leur usage culinaire.





A propos du bouddhisme Chan. La forme la plus authentiquement chinoise du bouddhisme est le Chan (autrefois écrit ch'an, plus connu sous son nom japonais de zen), né au VIème siècle sous l'impulsion de Bodhidharma. D'après les récits légendaires, Bodhidharma (env. 470-env. 543) était le fils d'un roi de l'lnde du Sud qui avait choisi la voie religieuse. Après s'être embarqué pour la Chine, il arriva vers 520 de notre ère à Nankin, où il fut reçu par le roi Wu, fervent bouddhiste et fondateur de la dynastie des Liang du Sud. Mais devant la mine désolée de l'empereur décontenancé par ses réponses sibyllines, Bodhidharma repartit, traversa le Yangzi debout sur une tige de riz et arriva finalement au lieu-dit " Petite Forêt" (en chinois shao lin), où un monastère avait été fondé en 495 (dynastie des Wei du Nord) par un moine indien appelé Buddhabhadra (en chinois Batuo). Bodhidharma s'y installe et décida de mettre en pratique ses idées : tourner le dos au monde, retourner son regard vers son intériorité et y chercher sans faiblir la voie juste. Pour atteindre ce but ultime et se préserver de toute distraction éventuelle en chemin, il s'assit en méditation devant un mur entièrement nu et demeura ainsi neuf ans durant, période au bout de laquelle il connut l'éveil et commença d'enseigner, devenant officiellement le patriarche fondateur de la branche chinoise du chan.


Produit de la rencontre entre la rigueur confucéenne et l'absolu bouddhiste, le chan apportait aux intellectuels une solution philosophiquement satisfaisante au lancinant problème de la mort en la faisant apparaitre comme une libération de l'infernal enchaînement des passions et des douleurs. La paix suprême, illusoire sur terre, pouvait s'atteindre en abolissant tous ses désirs et l'entrée dans le nirvana s'effectuait au terme d'un long parcours spirituel scandé par des réincarnations multiples. Les lettrés les plus épris d'absolu pouvaient même tenter dès cette vie l'accès à l'illumination et à la délivrance suprême.


Le mot chan, traduction du terme indien dhyana, "méditation ", s'écrit avec un idéogramme qui mérite qu'on s'y arrête. Il est formé de deux éléments : le signe général des affaires spirituelles et, à droite, un groupe complexe qui évoque à la fois le combat et la faiblesse. Ce groupe est lui-même composé de deux éléments : la partie basse représente une antique fourche paysanne, tandis que le double carré du haut représente une multitude de bouches, celles des paysans chinois enrôlés dans l'armée qui moment à l'assaut en vociférant pour se donner le courage qui leur manque, car la seule arme dont ils disposent, leur pauvre fourche justement, est bien faible face à celle des soldats de l'armée adverse. Ensemble, les deux parties du caractère chan donnent une belle évocation de l'objectif moral que se fixe le chan : le constant combat spirituel contre la faiblesse.





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