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Cultiver la posture mentale
par Lionel Seité


Croquis de Nadine Durand







Porter son esprit sur un sujet donné plus de quelques minutes sans se mettre à vagabonder intérieurement, sans "penser à autre chose", est chose délicate. Être parfaitement présent au moment d'agir sans être habité par un cortège de pensées diffuses, d'émotions, de doutes, de fantaisies intérieures, l'est tout autant. C'est la condition particulière de l'homme : une conscience à éclipse, immature, sans doute, par rapport à ce qu'elle pourrait être, plongeant constamment tel le dauphin, "sous le seuil", celui qui sépare la conscience claire et aiguisée de ce qu'il y a en dessous.


La plupart des animaux n'ont pas ce problème, puisqu'ils n'ont pas de conscience, ou alors très embryonnaire. Un chat fixant pendant deux heures le trou par où peut sortir la souris répond à la puissante impulsion de son instinct, il ne choisit rien. Il en est de même quand il combat, où quand il fuit, totalement possédé dans les deux cas par deux des plus puissants instincts naturels, celui d'agressivité et celui de conservation.






Pour nous, même si ces instincts agissent encore en nous avec puissance, nous ne pouvons plus, nous ne devons plus, nous laisser mener par eux. Car l'efficacité ne leur doit pas grand chose : la concentration à long terme, celle qui permet de se focaliser sur un projet lointain sans s'en laisser distraire n'est pas instinctive, pas plus que la concentration sur les détails d'un entraînement.


Et si l'action juste, dans le feu d'un combat est parfois qualifiée " d'instinctive ", elle ne l'est pas. La réaction adéquate, c'est le geste acquis par l'entraînement, l'attitude acquise qui tient compte des règles et parvient à surmonter le stress… l'instinct n'y est pour rien. Etre capable de se concentrer est donc un enjeu particulier de notre nature particulière.






Selon les conceptions actuelles des chercheurs, la concentration idéale pour l'action est une combinaison d'absence de crispation physique, d'une capacité acquise à faire abstraction des sollicitations extérieures, mais surtout intérieures : doutes, distractions, craintes. Elle est d'ordre physique autant que mentale - ce que les Asiatiques comprennent mieux que nous car ils ne dissocient pas autant ces deux aspects - la fatigue entamant la lucidité du corps.


La concentration se présente moins comme une hyper attention à des points précis, accompagné d'une hyper motivation que comme une attention ouverte à l'ensemble des éléments, complètement consacrée à l'autre, sereine, sans focalisation excessive (ce que les duellistes asiatiques savaient quand ils disaient qu'il ne faut pas regarder le sabre adverse…) et permettant la parfaite utilisation des réactions acquises à force d'entraînement, qui ne passent pas uniquement par le système nerveux central mais par les centres nerveux complémentaires du corps.






Comme le sabre " qui jaillit de la surface d'une eau calme " le geste juste, adapté à la situation, anticipant sur des signes invisibles, ne peut naître que de cette vigilance ouverte décontractée, complètement consacrée à l'autre. Pour les grands sabreurs japonais du passé, cette vigilance qui va permettre l'application totale et pertinente de la maîtrise technique et tactique, c'est l'état de " zanshin " : l'état d'esprit parfaitement calme et parfaitement vigilant, sans intention précédent l'action. Cette vigilance neutre est l'état d'esprit fondamental dans lequel ils devaient se maintenir en permanence.


La concentration comme vigilance ouverte et décontractée, où comment cultiver la posture mentale, libre et neutre.






Ceci n'est pas sans rappeler les notions chinoises du " wang o " ou il s'agit de faire le vide en soi, de s'oublier soi-même, afin d'être plus réceptif ; et du " tzu jan " prônant l'efficacité du spontané au sens d'immédiateté. Les experts en cherchaient le secret au plus profond de l'âme humaine car il n'était pas question de ne pouvoir l'atteindre qu'une fois de temps en temps ! Ils devaient être capable de s'avancer au combat sans crainte, l'esprit libre et fixé sur rien, dans le rythme parfait, la pensée et le geste simultanés, pour que ne soient pas séparés " le ciel et la terre ", et par voix de conséquence leur tête de leur corps.


Travailler à l'édification en soi de la capacité de s'installer pleinement " ici et maintenant " dans un présent libéré du passé et du futur, dont la jouissance, dit la sagesse universelle, est une des clés du bonheur…





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