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YI, La pensée créatrice
Synthèse AFDT

Illustrations de Fabienne Verdier / L'unique trait de pinceau / Albin Michel



Fabienne Verdier dans son atelier



La forme circulaire ou spiralée se retrouve dans toute la pratique du Taiji quan. Les maîtres disent souvent que les mouvements ont le cercle pour base et le Yin-Yang pour utilisation ; autrement dit, tout mouvement, alternance du Yin et du Yang, devient un cercle. Il ne doit donc présenter aucune brisure et n'avoir ni creux ni bosse. Peu importe que les cercles décrits par les pieds, les mains ou toute autre partie du corps se situent dans un plan horizontal, vertical ou oblique, à partir du moment où tout mouvement est un cercle et, par conséquent, un Taiji.


Chan / 1999Chan / 1999


L'idéal n'est pas d'obtenir la forme d'un cercle parfait, mais que la pensée créatrice qui préside au mouvement, l'image mentale (YI), soit celle d'un cercle. Le sémantème " YI " est ici traduit par " pensée créatrice " ou " image mentale ". Il ne s'agit pas en effet de pensée discursive, mais d'intention intuitive et immédiate, d'émission créatrice de l'esprit.


C'est une notion importante dans le Taiji quan et dans la philosophie chinoise. Il existe dans le Zhuîi quan shu une étude intéressante, dans laquelle le "YI " est mis en rapport avec la souplesse, le Yin, le particulier, par opposition à " ZHI "," la volonté " mise en rapport avec la rigidité, le Yang, le commun. Il y a donc un rapport de complémentarité (donc de différence) entre la pensée créatrice et la volonté. Dans les textes taoïstes, on emploie souvent le terme de " pensée " (YI) en corrélation avec celui " d'énergie spirituelle " (SHEN). D'après le Xianxue cidian, le shen est la substance, le yi est la fonction. Le shen correspond au non-agir, tandis que le yi gouverne l'action. Des qu'il y a action, il y a emploi du yi, qui est localisé dans la rate, ou plutôt est mis en rapport avec la rate. Dans le Xianfo hezong yulu de Wu Chongxu, il est dit ; " Le shen originel est immobile, il est la substance ; le yi véritable régit, il est la fonction. Mais le shen originel et le yi véritable sont fondamentalement une seule et même chose ".


Cinabre et sérénade / 1997


Reprenant l'idée des cercles, Chen Pinsan va même jusqu'à dire : " les cercles deviennent de plus en plus petits, petits jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de cercle ; alors seulement, il y a retour au véritable mystère merveilleux du Taiji ". A l'idée du cercle est liée celle de continuité. La continuité ne réside pas tant dans l'exécution des mouvements que dans la pensée (YI) : " si l'énergie vitale peut être interrompue, la pensée (l'esprit tai chi) ne l'est pas ". Les maîtres disent de façon imagée que les mouvements sont exécutés comme on dévide le fil de soie d'un cocon ; ils utilisent aussi l'expression " accomplissement d'un seul souffle " HE ", le souffle du cœur ".


A un certain niveau de pratique, l'effort n'est plus dirigé sur le mouvement, ni sur le souffle, mais sur la pensée créatrice : le YI. Ce terme comporte l'idée de volition, d'intention, d'inspiration, dans le sens de la créativité du souffle née du coeur. Les maîtres de boxe définissent le yi de la manière suivante : " le yi est l'intention de mon cœur " ou encore : " ce qui est émis par le cœur s'appelle yi ". La distinction entre le yi (pensée) et le cœur (xin) n'est pas toujours nette dans les textes sur le Taiji quan, l'un ou l'autre terme étant employé dans un même contexte. Dans le Taiji quan, tout mouvement part du cœur et est dirigé par la pensée créatrice : " La pensée et le souffle sont les souverains, les os et les muscles les ministres ", lit-on dans un texte.


Le mont des immortels / 1993


La pensée créatrice sert de lien entre le corps et l'esprit. Cette notion fondamentale dans la pensée chinoise est d'ailleurs qualifiée en alchimie intérieure " d'entremetteuse ". La pensée créatrice est à la fois une intention précise et une représentation, une image formée dans le cœur. "La pensée joue le rôle d'entremetteuse. Dans la voie alchimique, du début à la fin, on ne peut se passer de son utilisation. La pensée naît du cœur ". Le premier dictionnaire étymologique chinois (1er siècle), le Shuowen, la définit comme " le discours du cœur " (xinsheng).


Lorsqu'il y a coïncidence de plus en plus parfaite entre l'exécution d'un mouvement, et l'émission par le cœur de sa représentation mentale, lorsque le corps répond instantanément à la pensée émise, il y a automatisme du mouvement et passage dans l'inconscient. L'effort conscient n'est plus nécessaire pour exécuter le mouvement ni pour émettre la pensée déterminée correspondant à ce mouvement. La " parole du cœur " (YI) s'écoule d'elle-même. Arrivé à ce stade, l'adepte n'est plus troublé par l'extérieur, son énergie spirituelle est concentrée. Il n'a plus la volonté de se mouvoir selon un schème défini, mais répond instantanément et spontanément aux différentes circonstances. L'adepte perd conscience de son moi et de son corps, mais il est encore conscient, à la différence des états de transe. Il est dans un état dépassant la dualité conscience-non conscience, car l'union des contraires est accomplie : intérieur et extérieur, mouvement et repos, moi et l'autre. C'est l'union au Dao et à la vacuité. Chen Pinsan écrit : " Je ne sais plus que ce corps est moi, ni que je suis ce corps". "


Mutations et transformations / 2000


Lorsqu'à l'intérieur aucune pensée ne s'élève et qu'à l'extérieur rien ne fait obstruction, l'énergie d'un individu n'a plus de limites, elle est une avec les forces de l'univers dont elle suit les lois : c'est l'accomplissement du Taiji. Dans ce cas, le pratiquant n'exécute plus de lui-même les mouvements, il laisse le Dao agir à travers lui. Dans cet état, il n'est plus sujet à des pensées désordonnées qui l'assaillent de toutes parts, ses tensions ont disparu et font place au calme et à la sérénité. C'est là un effet similaire à celui de la méditation, c'est pourquoi le TaiJi Quan est appelé méditation en mouvements.


Le viel arbre et le vent / 1994 Pierre de méditation / 1994



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