Aller en bas de page Sommaire Accueil


Croissance et Décroissance par le Peintre Traditionnel
Par Jean-Marc Eyssalet


Les Cinq Chemins du clair et de l'obscur / Guy Trédaniel


Pour nous rendre accessibles à l'invitation, à la contemplation incluse dans ce diagramme, il nous faut décrire le mode rituel selon lequel le peintre traditionnel doit en représenter l'image. Disposant d'un cercle de bois, il le couvre totalement de couleur noire, signifiant ainsi que préalable à tout événement, énergie ou forme, existe un espace vide, immobile, obscur, totalement accueillant et condition " sine qua non " de toute manifestation, à la façon d'une mère ou matrice universelle.





Cette nuit créatrice, demeure la toile de fond en elle-même insondable, diffuse, préalable à toute apparition-disparition, à toute sortie (chu) et à toute rentrée (ru). Le peintre plonge son pinceau dans la peinture rouge, et retenant son souffle, il en place l'extrémité au point le plus bas du cercle, c'est-à-dire le lieu le plus yin du cercle noir. Arrêtons-nous un instant et contemplons le diagramme à ce moment précis. Yang, emblème de tout mouvement, expression, éclairement, ne peut apparaître (et disparaître) que sur fond yin (emblème de la Matrice obscure, immobile vide). Le peintre poursuit son mouvement orienté vers le haut et la gauche, étalant la peinture rouge sur une surface de largeur croissante selon une sinusoïde et dont l'étalement maximum est situé dans le haut du cercle. L'ensemble évoque la forme bien connue d'un curieux têtard rouge tracé à partir de la pointe en bas, poursuivi par le dos à gauche, achevé en haut par la tête au centre de laquelle un petit cercle vacant laisse apparaître le noir sous-jacent.


On voit qu'en haut la profusion extrême du yang inaugure son épuisement et correspond à la révélation indirecte de yin (petit cercle noir en creux). C'est aussi indirectement que la représentation emblématique de yang laisse apparaître un têtard yin de disposition inverse mais qu'un examen plus minutieux révèle en continuité avec un liseré noir laissé vacant par le peintre à la périphérie. Ce cercle noir circonscrivant l'ensemble du symbole rappelle la toute présence du yin sous-jacent. Au centre de la tête noire, le peintre représente un petit cercle rouge qui apparaît donc en relief à l'inverse du petit cercle noir au centre du yang. Ce relief et cette couleur au cœur du yin, le bas, rappellent que c'est au cours de son ultime épuisement que yang réintègre son potentiel, qu'il se régénère au cœur de la Nuit (yin).


Cet ordre dynamique dans la représentation du Tai Ji a non seulement une valeur rituelle, il est en lui-même révélateur du mouvement que cette représentation évoque et hors duquel elle perd non seulement sa signification la plus précieuse, mais semble même cautionner une théorie simplette de la dualité qui est aux antipodes de sa conception d'origine. Yin n'est ni l'inverse, ni le contraire de yang, et représente beaucoup plus que sa part complémentaire. Yang (rouge) apparaît et disparaît sur fond yin (noir) ce qu'indique concrètement la représentation : sous la peinture rouge, il y a le noir.

De la même façon, le jour n'implique pas que la nuit disparaisse, puisque la lumière du soleil rayonne sur fond d'obscur, voilant les étoiles cependant présentes. Et lorsque nous disons que la nuit tombe, il s'agit bien plutôt d'une disparition du soleil qui laisse progressivement apparaître la nuit toujours présente et les étoiles à nouveau visibles. En revanche la peinture noire, symbolisant l'obscur imprenable, d'emblème yin, ne recouvre que le noir, nuit insondable vacante où apparaissent et disparaissent étoiles et planètes. Ici est exprimée la Totalité, l'Unité de tout ce qui arrive, rythmée par deux emblèmes en quelque sorte agglutinés, yin-yang, indissociables parce qu'impensables séparément.


Yang exprime la croissance, la profusion, la décroissance, le retour, mais ce déploiement-repliement qui est l'expression même de l'énergie qi ne peut s'inscrire que sur la toile de fond yin.


Yin ne peut laisser apparaître l'espace vacant, immobile, obscur qu'il détermine à partir de l'orientation, de la rythmique de l'éclairage signés yang.

Il n'y a d'énergie que yang ; ce que nous nommons par commodité de langage " énergie yin " est en réalité yang décroissant sur fond yin


retour en haut de page Sommaire Accueil