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La voie de POOH
Par Benjamin HOFF


Le TAO de POOH / Editions Picquier Poche


Nous voici parvenus à ce qu'on pourrait considérer comme l'élément le plus caractéristique de l'action du Tao. En chinois, il est appelé Wu wei. En anglais et en français, on ne le connaît pas comme quelque chose de particulier, et nous pensons qu'il est temps que quelqu'un le remarque et lui donne un nom ; c'est pourquoi nous le baptiserons la Voie de POOH. Littéralement Wu wei signifie " non-agir, non-provoquer, ou non-faire ". Mais du point de vue pratique, il signifie plutôt sans effort inapproprié, égoïste et exagéré. Le fait que le caractère Wei provienne des symboles désignant une main qui s'agrippe et un singe est assez significatif, puisque le terme Wu wei a le sens de ne pas aller contre la nature des choses, de ne pas fausser son habileté, de ne pas faire le singe. L'efficacité de Wu wei est comparable à celle de l'eau qui s'écoule en passant par-dessus et en contournant les rochers qu'elle rencontre. Elle ne correspond pas à l'approche mécanique et linéaire qui aboutit en général à court-circuiter les lois naturelles, mais au contraire à celle qui émane de la sensibilité intérieure des rythmes naturels du monde...





En apprenant à travailler avec notre Nature Intérieure et avec les lois naturelles qui opèrent autour de nous, nous atteignons le niveau de Wu wei. Alors nous travaillons avec l'ordre naturel des choses et opérons selon le principe de l'effort minimal. Puisque le monde naturel suit ce principe, il ne fait pas d'erreurs. Les erreurs sont commises - ou imaginées - par l'homme, cette créature qui a un cerveau surchargé et fait une séparation entre lui-même et le réseau de lois naturelles qui le supportent, en interférant et en forçant sans cesse sa nature…. Cela signifie que le Tao ne s'impose pas ou n'interfère pas sur les événements, mais les laisse agir selon leur propre voie, pour produire des résultats de manière naturelle. Alors tout ce qui a besoin d'être fait est fait. "Agir sans agir". De ce principe, Wei Wu wei, découle Tzu jan, le "Soi ainsi". Il signifie que les choses se produisent d'elles-mêmes, spontanément. "


L'intelligence, comme d'habitude, essaye de s'approprier tout le mérite qu'elle peut. Mais le responsable, lorsque les choses marchent, n'est pas l'Esprit Intelligent, C'est l'Esprit qui voit à quelle situation il a affaire et suit la nature des choses. Si vous vous accordez au principe de Wu wei, vous faites passer les billes de bois par des ouvertures rondes et les cubes par des ouvertures carrées. Il n'y a pas de stress, pas de lutte, pas de conflit. Animé par le Désir, on essaye de faire passer de force les billes par des ouvertures carrées et les cubes par des ouvertures rondes. L'Intelligence tente d'inventer des moyens habiles pour adapter les éléments de bois à des ouvertures qui ne leur correspondent pas. Quant à la Connaissance, elle essaye de comprendre pour- quoi les billes correspondent aux ouvertures rondes et non à des ouvertures carrées. Mais Wu wei n'essaye pas. Wu wei n'y pense pas. Il se contente d'agir. Et quand il agit, il ne donne pas l'impression de faire quoi que ce soit. Mais les Choses-Sont-Réalisées.


Et quand on essaye trop fort, ça ne marche pas. Essayez d'attraper très vite et avec précision un objet quelconque en ayant le bras tendu ; puis relaxez-vous et essayez encore. Essayez de faire n'importe quoi avec un esprit tendu. La manière la plus sûre de devenir tendu, maladroit et confus est de développer un esprit qui essaye trop fort, un esprit qui pense trop. Les animaux de la forêt ne pensent pas trop, ils Sont. Mais pour un nombre incalculable de gens, et pour paraphraser un grand philosophe, la situation est la suivante : " Je pense donc je suis confus. " Si l'on compare les grandes villes et la forêt, on peut se demander pourquoi l'homme se classe comme l'animal le plus évolué.





" Si les gens étaient plus évolués que les animaux, ils prendraient plus grand soin de la Terre ", dit Pooh. " C'est vrai ", reconnus-je.


Mais au fil des siècles, l'homme a développé un esprit qui l'a séparé du monde de la réalité, le monde des lois naturelles. Cet esprit fait trop d'efforts, s'use trop, et finalement s'affaiblit et s'amollit. Un tel esprit, même s'il est d'une très haute intelligence, devient inefficace. Il va et vient, avance, recule, mais ne réussit pas à se concentrer sur ce qu'il fait au moment présent. Il conduit une automobile à vive allure dans la rue et pense au magasin devant lequel il va s'arrêter, à la liste d'articles ménagers à acheter. Puis il se demande comment arrivent les accidents. En suivant le principe du Wu wei, il n'arrive pas de vrais accidents. Parfois les choses empruntent des voies un peu étranges, mais elles finissent par s'accomplir. Vous n'avez pas besoin de les forcer pour qu'elles aient lieu ; vous laissez faire.


Ceux qui agissent en suivant la Voie de Pooh voient des choses comme celle-ci leur arriver tout le temps. C'est difficile à expliquer, sinon par des exemples, mais c'est ainsi. Les choses surviennent simplement au bon moment, dans le bon sens. Du moins lorsqu'on les laisse opérer, lorsqu'on agit en accord avec les circonstances au lieu de proclamer : "Ça n'est pas censé se produire de cette manière ", et d'essayer de les faire se produire autrement. Si vous respectez l'ordre et la nature des choses, celles-ci suivront alors la voie qui est la leur, qu'importe ce que vous pourrez en penser sur le moment. Plus tard, vous vous direz : " Oh, maintenant je comprends. Il fallait que ça arrive pour que ceci se produise, et que ceci se produise pour que cela se réalise.. " Vous vous rendrez compte alors que, même si vous aviez tout arrangé pour que cela marche à la perfection, vous n'auriez pas pu faire mieux, et si vous aviez réellement entrepris d'intervenir tout aurait pu tourner de travers.





A son niveau le plus élevé, Wu wei est indéfinissable et pour ainsi dire invisible, parce que cette forme d'agir est devenue un réflexe. Selon une parole de Tchouang-tseu, l'esprit de Wu wei " s'écoule comme de l'eau, réfléchit comme un miroir, et répond comme un écho ".En agissant avec Wu wei, vous vous laissez porter par les circonstances et suivez votre intuition. " Ce n'est pas le meilleur moment pour accomplir ceci. Je ferais mieux d'aller dans cette direction. " Lorsque vous agissez ainsi, les gens s'imaginent que vous avez une sorte de sixième sens. Mais en réalité, ça n'est qu'être sensible aux circonstances. Etre simplement naturel. Ce n'est étrange que pour celui qui ne sait pas écouter sa nature. Un des aspects les plus pratiques de cette sensibilité aux circonstances est de ne pas avoir besoin de prendre autant de décisions difficiles. Au contraire, on les laisse se former toutes seules.


L'approche Wu wei appliquée à la solution de conflits est parfaitement illustrée par la pratique de l'art martial taoïste, le t'ai chi ch'uan, dont l'idée de base est de contrer son adversaire, soit en lui renvoyant son énergie, soit en la faisant dévier, en sorte de l'affaiblir, de le déséquilibrer, et de lui faire perdre sa position de combat. Jamais on ne s'oppose à la force par la force ; on en vient à bout, au contraire, en cédant. On peut comprendre le principe de Wu wei sous-jacent au t'ai chi ch'uan en imaginant un bouchon de liège flottant à la surface de l'eau et sur lequel on taperait. Plus on tape fort, plus il s'enfonce ; plus il s'enfonce, plus il remonte vite. Sans dépenser aucune énergie, le bouchon vient aisément à bout de tous nos efforts. De même, Wu wei vainc la force en neutralisant son pouvoir plutôt qu'en ajoutant au conflit.


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