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Vertu et noblesse du Cœur
Par Cyrille J.D.JAVARY





En fondant la première école privée du monde, il y a plus de deux siècles, le " premier des professeurs " diffuse l'art de gouverner pour le bien de tous. Les principes de cette " civilité lettrée " vont devenir, au fil du temps, morale d'État.


Imaginerait-on la Chine sans Confucius? Pourquoi, deux mille cinq cents ans après sa naissance, les gardes rouges se sont-ils acharnés contre lui pendant la Révolution culturelle si son influence n'était pas restée si vivante dans l'âme chinoise ? A l'époque impériale, chaque ville avait son Wen Miao, deux caractères dont le premier désigne la civilité lettrée et le second un bâtiment rituel que l'on traduit sottement par " temple à Confucius ", alors que l'on n'y trouvait jamais de statue de Confucius, ni aucune forme de divinisation du sage, seulement quelques bâtonnets d'encens piqués devant une tablette de bois sur laquelle était écrit " Au premier de tous les professeurs ".








" Professeur " est le titre qui sied le mieux à Confucius. L'acte majeur de sa vie fut en effet d'ouvrir la première école privée du monde. Acte révolutionnaire dans la société féodale de son époque, car alors, seuls les fils de nobles avaient droit à l'éducation. En ouvrant son enseignement à quiconque, en échange de seulement " quelques lamelles de viande séchée " (une préparation délicieuse), il posait que, pour lui, la seule noblesse qui vaille n'était pas la noblesse du sang mais celle du cœur. Et qu'à la différence de la noblesse féodale qui se reçoit par simple naissance, la noblesse du cœur s'acquiert par un effort incessant d'amélioration personnelle. Il fondait ainsi, il y a vingt-cinq siècles, ce qu'on appelle aujourd'hui l'humanisme.


En formant ceux qui venaient à lui à l'art de gouverner pour le bien de tous, il prépara la venue de la classe des lettrés fonctionnaires qui administreront l'empire pendant plus de deux mille ans, ainsi que l'instauration du système des examens impériaux (ouverts à tous), qui assureront à l'Etat les meilleurs cerveaux du moment. Par la suite, Confucius accéda à certaines hautes fonctions (conseiller du prince, ministre de la Justice) mais, déçu par l'attitude indigne de son prince, il démissionna et partit à la recherche d'un souverain qui lui permettrait d'appliquer ses idées en vraie grandeur. Aucun ne répondit à sa demande et finalement, après douze ans d'errance, au bord du fleuve Jaune - s'exclamant: " Ah, comme ce fleuve, toujours aller de l'avant!" (Lun Yu 9/17) -, il retourna enseigner à ses disciples à Qufu, sa ville natale.


Il y mourut paisiblement en 479 avant notre ère, à 72 ans. Ses disciples l'enterrèrent dans une forêt où il repose toujours, maintenant entouré des 76 générations de ses descendants en ligne directe, ainsi que leurs familles - 200000 tombes, le plus grand cimetière privé du monde. Aucune lignée, fût-elle royale ou impériale, ne peut se targuer d'une telle ancienneté et d'une telle continuité, image même de la pérennité de son enseignement.








Professeur en dignité humaine, Confucius, comme Socrate son contemporain, n'a jamais rien écrit de sa main. Tout ce qu'on sait de son enseignement tient dans un mince ouvrage, appelé Entretiens, parce qu'y sont rapportées les courtes réponses qu'il donnait aux questions que lui posaient ses élèves au cours d'entretiens familiers. A la manière du yin et du yang, l'enseignement de Confucius se déploie en suivant deux axes dynamiques. L'un, dirigé vers soi, est un penchant tenace pour l'amélioration personnelle; l'autre, dirigé vers autrui, est une confiance inébranlable dans la propagation à partir de sa propre attitude, d'un climat valorisant la dignité humaine dans les rapports sociaux, en particulier en s'opposant à toute forme de brutalité, surtout venant du pouvoir.


Au fil des siècles, les principes de Confucius deviendront morale d'État, ce qui entraînera l'apparition du " confucianisme ". Un nom qui désigne à la fois l'application par la classe des lettrés des principes confucéens pour le bien-être de tous, mais aussi leur déformation caricaturale, travestissant le message de droiture et de dignité de Confucius en un code rigide de soumission servile au pouvoir établi, justifiant toutes sortes d'injustices envers le peuple, comme envers les femmes, qui auraient révolté Confucius.



Une notion clés de cette pensée : l'étude L'idéogramme " étudier " représente, sous le dessin d'un enfant enfermé dans une sorte de cloche qui l'isole du monde alentour, des mains qui manipulent des instruments permettant d'analyser la configuration particulière d'un moment. " Étudier ", pour l'esprit chinois, est donc fondamentalement s'éduquer, se relier aux caractéristiques du moment dans lequel on se trouve, de manière à le comprendre, au sens premier de ce mot en latin cum prendere, prendre en soi, et agir en conséquence. C'est tout à fait dans cet esprit que Confucius prône l'étude. L'importance qu'il y accorde se manifeste par le fait que ce mot est placé en tête du premier paragraphe du premier chapitre des Entretiens.








Seulement, étudier n'est pas pour lui accumuler un savoir livresque : Confucius n'est pas le pédant bavard et pointilleux qu'une certaine tradition confucianiste a voulu faire de lui. " Qui mange avec mesure et ne vit pas uniquement pour le confort; qui est soigneux dans ce qu'il fait et attentif à ce qu'il dit ; qui fréquente ceux qui sont dans la bonne voie pour rectifier la sienne, celui-là, on peut vraiment dire qu'il aime l'étude " (Lun Yu 1/14). Dans son esprit, étudier, c'est s'aiguiser l'esprit dans le seul but de pouvoir être en mesure de déterminer à tout moment l'attitude appropriée, la juste réponse, face à la situation où l'on se trouve. Car Confucius ne délivre pas un catéchisme, il ne prône pas de solution toute faite, il demande à chacun d'apprendre à se déterminer moralement : " Dans les affaires du monde, le vrai gentilhomme n'a pas une attitude rigide de refus ou d'acceptation, le juste est sa seule règle " (Lun Yu 4/10).


S'il recommande l'étude des textes classiques, c'est parce que ceux-ci peuvent aider à percevoir la manière juste de se comporter. C'est dans cet esprit que, quelques siècles après sa mort, ses disciples lui attribuent la rédaction de l'ensemble des commentaires du Yi Jing, le grand-livre du yin et du yang, un manuel d'aide à la décision. Finalement, comme le dira Zhang Zai, un philosophe confucéen du XIIe siècle, " apprendre, c'est apprendre à faire de soi-même un être humain ". Etudier n'a pas non plus pour Confucius le sens introspectif qu'il prendra en Occident, d'abord chez Socrate, ensuite chez Montaigne. Il ne s'agit pas tant de se connaître soi-même, que de continuellement chercher à améliorer ses rapports avec autrui. Confucius sait bien que personne ne naît vertueux par nature, alors il insiste sur le fait que chacun d'entre nous peut, par un constant travail sur soi, acquérir la plupart des qualités humaines qui ne sont pas incompatibles avec son tempérament. Cet accent mis sur l'étude repose sur une conviction intime. " Commettre une faute, et ne pas s'en corriger, c'est ça la vraie faute " (Lun Yu 15/29). C'est à la perception de ses erreurs qu'on peut mesurer la qualité morale de quelqu'un: " À chacun ses fautes. C'est a leurs fautes qu'on reconnaît un vrai gentilhomme d'un être mesquin " (LunYu 7/14)








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