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101 réflexions sur le Tai Chi Chuan
par Michael Gilman


Budo éditions




CENTRATION

Le terme " centré " est emprunté à l'image du potier plaçant l'argile au centre de son tour. C'est seulement lorsqu'il a disposé l'argile exactement au centre de son tour, que le potier est capable de lui donner la forme qu'il veut. Quand j'étais enfant, il y avait, sur notre terrain de jeu, un manège qui ressemblait au tour d'un potier. Il était rond, tournait doucement et facilement sur lui-même, et possédait des poignées pour se tenir. Quand vous étiez assis exactement au centre, et que la roue était en action, vous n'aviez pratiquement pas l'impression de tourner, mais dès que vous alliez vous asseoir un peu plus près du bord extérieur, la force centrifuge qui vous tirait au dehors était telle qu'il fallait s'accrocher de toutes ses forces aux poignées pour ne pas tomber... Tous les arts internes utilisent ce principe. Si je suis centre, et si vous venez vers moi en déployant vitesse et force, il me suffît de pivoter sur mon axe central pour vous envoyer voler! Pour réussir, la technique exige seulement que je demeure enraciné, centré et relâché.







ALIGNEMENT

Il faut de la force pour venir à bout de la structure, et c'est dans ce domaine, précisément, que l'on peut apprécier l'apport de la technique. Si la structure de votre corps est correctement positionnée, votre adversaire sera contraint d'utiliser la force contre vous. C'est justement l'utilisation de cette force qui permet à la philosophie du taïchi et à ses techniques de s'exprimer : la douceur vient à bout de la dureté, la patience triomphe de l'impatience, la souplesse l'emporte sur la raideur, la flexibilité vainc l'inflexibilité. J'ai inventé le terme de relâchement structurel pour expliciter l'idée de placement du corps dans un alignement correct; de la sorte, la structure sous-jacente (les os, les tissus conjonctifs) peut faire face efficacement à toutes les pressions auxquelles elle est soumise. Par exemple, un alignement postural correct facilite le relâchement. Si le corps penche d'un côté ou de l'autre, la force gravitationnelle agit sur lui de manière négative, obligeant les muscles à dépenser une partie de leur énergie juste pour maintenir l'équilibre. Pendant la Poussée des Mains, si mon alignement structurel est correct, la force de mon partenaire sera automatiquement conduite jusqu'à ma racine, rendant ma posture encore plus stable. Mon partenaire se verra alors contraint d'utiliser plus de force, ce qui le rendra maladroit ou le poussera à tourner autour de moi pour trouver une ouverture ; à ce moment-là, il sera vulnérable à la contre-attaque que le solide enracinement de ma structure me permettra. Si je n'avais pas bénéficié dès le début d'un relâchement et d'un bon alignement structurel, c'est moi qui aurais dû me battre pour me maintenir en équilibre, et mon partenaire, lui, n'aurait pas eu besoin d'engager ses forces dans la bataille...







MAINS

Les mains s'avèrent, pour un pratiquant d'arts martiaux internes, des outils d'une grande finesse. Elles doivent être tout aussi capables de ressentir et de transmettre au cerveau les messages les plus subtils, que de concentrer et d'extérioriser une force très puissante, lorsque c'est nécessaire. Il existe jusqu'à vingt et un mille capteurs sensoriels par pouce carré (2,5 cm2) au bout des doigts pour ressentir la chaleur, la pression et la douleur. Un sixième des muscles du corps est consacré aux mouvements des mains. Un seul de ces mouvements peut impliquer jusqu'à cinquante muscles à la fois. Observez ces objets incroyables fixés à l'extrémité de vos bras, et vous serez émerveillé. Si vous prenez le plus grand soin de ces outils intelligents, ils seront vos fidèles serviteurs tout au long de votre vie.







CORPS TYPIQUE

Essayons de regarder le corps typique du taïchi, en le comparant à la conception occidentale plus traditionnelle de la beauté et du fonctionnement. L'idéal occidental de l'homme est parfois représenté par Hercule. Il possède des bras, une poitrine et des épaules puissants, qui s'apparentent à des outils dont la fonction est de saisir une chose ou de la battre pour l'amener à se soumettre. Sa taille est mince et très serrée. D'autres aspects de cet idéal englobent l'annihilation des sentiments ou des émotions, un souffle court, qui indique pourtant que les émotions restent toujours latentes... Ses jambes sont rarement très développées, car il accomplit le travail de levée et de force avec les bras. Sa démarche semble lourde, son corps tombant vers l'avant d'un pied sur l'autre. Maintenant, comparez cela au corps du pratiquant de taïchi. Celui-ci est plus épais vers le bas, car la plus grande partie du travail est supportée par ses jambes. Sa taille est plus large, relativement au haut de son corps, car la respiration et le mouvement primaire trouvent leur source dans la région de sa taille, ce qui laisse tout loisir à l'épanchement des émotions. Ses muscles apparaissent plus doux à l'extérieur, mais avec un noyau solide à l'intérieur. Ses bras ont tendance à être vigoureux. En Occident, la tête est censée être le centre de contrôle du corps, tandis qu'en Orient, c'est le ventre qui en est le centre. Cette différence d'appréciation dans l'approche du corps et de l'esprit a une répercussion en termes de temps et d'espace. L'Occident s'agite pour s'emparer des choses qu'il convoite, tandis que l'Orient reste tranquille, attendant pour agir que la situation vienne à maturation. On pourrait comparer l'Occident à un tigre en train de rôder, tandis que l'Orient est comme une araignée qui guette sa proie au centre de sa toile. Sachez que votre corps se développe selon un schéma qui reflète vos idées culturelles, mentales et spirituelles. Pour que votre corps se transforme comme vous le souhaitez, vous devez aussi transformer vos rapports avec le monde.







CORPS GLOBAL

Le corps taïchi typique serait parfaitement circulaire, bras et jambes rattachés au même point, au centre du cercle. Ceci n'est peut-être pas facile à imaginer, mais je pense réellement que mes bras et mes jambes sont rattachés à mon centre. Quand je fais un pas, ma jambe se balance vers l'avant à partir de mon ventre, et quand je termine mon pas, le mouvement vient aussi de mon ventre. De cette manière, c'est mon corps dans son ensemble qui est mis à contribution, et non une partie isolée. Si vous pensez que votre bras est rattaché seulement par l'articulation de votre épaule, alors il vous est facile d'effectuer des mouvements avec vos seuls bras, sans utiliser le reste de votre corps, mais c'est inacceptable dans les arts internes. Lorsque je donne un coup de poing, je ne le fais pas avec mon seul poing. C'est tout mon corps qui participe, et mon poing n'est que la partie qui entre en contact avec mon adversaire. Essayez de visualiser cette image la prochaine fois que vous pratiquerez, et je suis certain que vous serez satisfait du résultat !







RESPIRATIONS

Le souffle est l'une des clefs du mouvement de l'énergie, l'intention en demeurant la clé principale. Ce sont ces clefs qu'utilisent les arts martiaux pour accroître la force, la vitalité, la santé, et bien d'autres éléments essentiels contribuant à enrichir une vie ; les exercices de chi Gong sont d'un usage général ou particulier, selon l'objectif que l'on s'est fixé. L'image de l'arc et de la flèche peut nous aider dans un très bon exercice de chi Gong à caractère général et tonique. Cet exercice sera plus intéressant si vous le pratiquez avec la respiration abdominale normale et la respiration inversée, qui ont toutes deux leur place dans la pratique des arts internes. Imaginez qu'à l'intérieur de votre corps, se trouve un arc dont une extrémité est votre tête, et l'autre vos pieds. Utilisez d'abord la respiration abdominale normale. La corde de l'arc se trouve face à votre corps. Quand vous inspirez, elle se tend (votre ventre se dilate), et quand vous expirez (votre ventre se contracte), la flèche va se ficher dans votre dos (au point Ming Men). Effectuez l'exercice jusqu'à ce qu'il ne nécessite aucun effort physique ou de réflexion.



À présent, pratiquez la respiration abdominale inversée. Imaginez la corde de l'arc dans votre dos. Quand vous inspirez, elle se tend vers votre dos, qui est amené à se dilater (votre ventre se contracte), et quand vous expirez (votre ventre se dilate, votre dos se contracte), la flèche va se ficher à l'avant (au Tan Tien). Respirez ainsi jusqu'à ce que cela vous soit naturel. Ne forcez pas la respiration, et évitez les tensions. Le but de cet exercice est d'abord d'expérimenter les deux types de respiration, et ensuite d'apprendre à faire circuler l'énergie (en ouvrant les communications) entre l'avant et l'arrière, entre le Tan Tien et Ming Men, ce qui est essentiel pour atteindre le plus haut niveau de la pratique des arts internes. Consacrez peu de temps, mais beaucoup d'attention à cet exercice, et notez le style de respiration qui vous convient le mieux et votre capacité de changer de style à volonté...







STRUCTURE ET SUBSTANCE

Léonard de Vinci aurait dit: " Commencez avec ce que vous pouvez voir, et apprenez d'après ce que vous découvrez ". Cette idée a une certaine résonance chez l'élève et le professeur que je suis ; l'enchaînement m'a été transmis par un professeur. Il représente justement le point de départ qui m'a conduit à la découverte de la forme, étant entendu qu'une forme ne peut être que la structure d'une chose, qui la différencie de la substance. Il est facile, en particulier au début, de prendre la forme pour la substance elle-même... et de nombreuses personnes ne cherchent pas plus loin. Mais une âme de pionnier nous fera explorer avec bonheur et à l'infini le monde des arts internes, sans jamais savoir à l'avance ce que l'étape suivante nous réserve... Et c'est la surprise qui rend notre vie si intéressante.







PHILOSOPHIES

Le taïchichuan, en Chine, a pris des milliers d'années pour se développer. D'abord, il y a eu l'époque mystique, avec les Taoïstes et leurs exercices, qui développaient l'idée que le corps était le temple de l'esprit ; par conséquent, pour libérer l'esprit, il fallait s'appuyer sur un corps en bonne santé, et ce processus lui-même devait être contrôlé par une conscience supérieure. Ensuite, ce fut l'époque confucéenne, qui ordonnança le vague et plus archaïque système légué par les Taoïstes. Avec les Confucéens, tout devait pouvoir entrer dans un cadre ordonné, et, dans la mesure où cet ordre était respecté, il allait de soi qu'il s'ensuivrait harmonie et équilibre pour tous... Cette période fut à son tour suivie par celle des Bouddhistes, qui, répondant aux désirs de leurs contemporains, considéraient qu'au-delà de la vie actuelle et de ses problèmes inhérents, chacun se voyait offrir la chance d'une vie suivante meilleure. Pour accomplir son objectif final, il n'y avait pas de règles, mais des systèmes à suivre. Le taïchi a été influencé par ces différentes philosophies : mystique taoïste, ordre confucéen, compassion et élan du cœur bouddhistes. Chaque fois que nous pratiquons, le tissu que nous déroulons laisse entrevoir la trame magnifique des grandes philosophies de la Chine !




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