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Et la Respiration ?
par Rolland Gaillac


Photos : anciens Hutong de Pékin


La vie de l'homme commence par une inspiration. Elle se termine par une expiration. Quoi qu'il arrive. Entre les deux, et tout le reste du temps, les simples êtres humains que nous sommes avalent l'air du bout des lèvres, avec économie ou goulûment, pour assurer la fonction de base qui préside aux échanges gazeux entre nos organismes et le milieu extérieur. Ils toussent, reniflent, raclent leur gorge, suffoquent, s'étranglent, expectorent, ahanent... Mais bien peu respirent, au sens cosmique du terme. Bien peu parviennent à se mettre au rythme de l'univers pour ne constituer qu'un seul souffle avec lui. "Le" souffle. Celui du flux énergétique ; celui qui fait vibrer toute chose ; celui qui préside à tout, au "un", que! que soit le nom qu'on lui donne, et indépendamment de tout contexte religieux. Les grandes religions, d'ailleurs, se sont toutes appuyées à leur origine sur l'aspect cosmique de la respiration pour établir ce lien - le seul tangible - entre le ciel, la terre et l'homme. Et lui donner un nom... Mais bien respirer, au fond, c'est quoi ? Ou plutôt, c'est comment ?


Bien respirer, " c'est ", simplement. Et c'est par là qu'il faut commencer. Ni la posture, ni la pratique, ni le mental ne vous donneront une bonne respiration, quoi que vous fassiez, si vous n'êtes pas conditionné pour. Car c'est de la respiration que tout découle : la posture, la pratique, le mental; et non le contraire.





On voit arriver de temps en temps, lors de cessions diverses, Tai Chi Chuan, Chi Gong, Yoga, ou autre, des gens qui vous disent : " Je suis venu parce que je ne sais pas respirer! J'ai lu qu'ici on pratiquait la respiration abdominale. Puis-je m'inscrire ? " Quelques jours plus tard, vous les retrouvez, plus appliqués que jamais. Ils tiennent à vous montrer qu'ils ont compris. Qu'ils "savent", désormais, respirer. Et c'est alors terrible ! La séance à peine commencée, vous fermez les yeux ; et vous avez soudain l'impression d'être entré par hasard dans un pressing… Certes, la respiration doit être ample, longue, profonde. Mais elle ne peut en aucun cas être forcée, exagérée. Elle doit rester silencieuse, naturelle, entièrement libre. A votre image. Ou plutôt à l'image du chi, ki, prana, comme il vous plaira de l'appeler. A l'image de cette énergie qui passe à travers vous. Et qui conditionne chacune de vos attitudes, chacun de vos actes...


Au-delà des dogmes, des querelles d'école, des pratiques religieuses, il n'existe que deux façons de respirer : la bonne et la mauvaise. Pour la mauvaise, c'est simple : il suffit de regarder autour de soi dans la rue, les transports en commun, les lieux publics. Les gens malgré eux avachis, vautrés, sans tenue. Comment pourraient-ils respirer ? La bonne façon, en revanche, est plus difficile à décrire. Car si la technique, dite abdominale est simple à maîtriser en elle-même, ce qui la sous-tend est en fait plus complexe. Si le rôle de la respiration consiste à établir un lien, un fil invisible destiné à relier l'homme à l'univers, les formidables effets qu'elle engendre sur l'organisme sont, eux bien terrestres. Et tout à fait mesurables.





Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, la respiration ne se fait pas au niveau des poumons. Elle s'effectue en fait au niveau cellulaire, et même au niveau moléculaire, dans des organites spécialisés, véritables centrales énergétiques qui portent le nom barbare de mitochondries. Les échanges gazeux se font bien entendu au niveau des alvéoles pulmonaires, mais l'oxygène est conduit des poumons à la cellule par le sang. C'est là que s'effectue la véritable respiration. Cellule par cellule. Le taoïste Tchouang Tseu, affirmait que les gens du commun respiraient avec la gorge, tandis que l'homme véritable devait le faire avec tout le corps, jusqu'aux talons, ce qui signifiait que la respiration s'accompagne d'un processus de prise de conscience qui peut s'étendre aux jambes. L'acte respiratoire en effet, pour être pleinement efficace, doit procéder de tout le corps. Nombre de stress, de troubles psychosomatiques, de dysfonctionnements organiques, de fatigues chroniques sont dus à cette incapacité.


En effet, les fonctions homéostatiques de l'organisme : circulation sanguine, sécrétions hormonales, pression artérielle, régulation de la température corporelle, etc sont assurées sans l'intervention du raisonnement, par le système nerveux autonome, quelles que soient les variations du milieu extérieur. Ce système nerveux autonome, ou système neurovégétatif, est situé dans le paléocortex, et plus particulièrement dans l'hypothalamus, la partie la plus ancienne du cerveau. C'est le centre des pulsions fondamentales : nourriture, désir sexuel, instincts, besoin de groupe, survie de l'espèce. Celui sans lequel nous ne serions pas là aujourd'hui. En revanche, ces lignes ne pourraient être écrites sans l'intervention du néocortex (siège de l'intellect), et de ses milliards de cellules : la partie la puis récente du cerveau, en termes d'évolution.





Or !a difficulté de vivre des civilisés vient de l'antagonisme de ces deux cerveaux, et de l'importance, de plus en plus grande, de par nos activités cérébrales intenses, que s'adjuge le " petit dernier". Ainsi, durant le jour, une partie des fonctions automatiques de l'organisme est assurée par le système sympathique. Lorsque ce système, excité par les émotions, l'activité cérébrale, le stress, est trop sollicité, survient un état de surtension. Le parasympathique entre alors en jeu, afin d'éliminer ces tensions par des processus chimiques complexes, (neurotransmetteurs notamment), et maintenir l'équilibre du système nerveux autonome. C'est ce qui se produit pendant le sommeil par exemple, ou le sympathique (dominant le jour) cède la place au parasympathique (dominant la nuit) pour défatiguer notre corps et notre esprit, et leur rendre la vigueur nécessaire à un fonctionnement correct. Or l'activité intellectuelle, trop importante, des cérébraux que nous sommes devenus (au sens fondamental : émotions, angoisses, etc.) donne trop d'importance au système sympathique, et empêche, plusieurs heures durant, le parasympathique de reprendre les commandes. C'est ce qui fait que vous entendez souvent des gens dire : "Je ne comprends pas. Cette nuit, j'ai dormi dix heures et je suis complètement crevé..."


A l'inverse, les pratiquants de Tai Chi Chuan, Chi Gong, ou Yoga, par exemple, dorment moins. Mais avec une très grande efficacité réparatrice... Ce qui nous ramène à la respiration ventrale. A la respiration longue, profonde. Et à son rôle en la matière... La respiration comporte trois temps : l'inspiration, l'expiration, et une pause, plus ou moins longue, située entre expiration et inspiration, dont peu de gens ont conscience. Un temps mort hors du temps. Entre tension et détente. Un peu d'éternité. L'état du Bouddha, comme le moment qui sépare deux pensées…





L'inspiration est produite par une contraction du diaphragme et des muscles intercostaux, qui dilate la cage thoracique et donc les poumons, collés à la paroi, provoquant ainsi une aspiration. L'expiration naturelle est due, quant à elle, à l'élasticité de la cage thoracique et des poumons, cherchant à revenir à l'état d'origine. L'air est alors expulsé, simplement. Au contraire, la respiration abdominale fait intervenir un concept totalement différent : celui d'énergie cosmique, ou de Chi. Ce n'est plus juste de l'air qui entre dans les poumons, mais quelque chose d'autre. Indéfinissable. Indéterminable. Le "ça", aux propriétés extraordinaires, que l'on va chercher jusqu'aux confins de l'univers. Que l'on absorbe au fond, tout au fond de soi. Que l'on dirige jusqu'au centre de gravité de l'organisme, au tan tien (chine) ou au seika tanden (japon), en un point situé au milieu d'un triangle dont le sommet serait en dessous du nombril, à trois centimètres environ, et les deux côtés au niveau de la troisième lombaire et de l'anus. Et que l'on expulse ensuite, lorsqu'il a fait son office, aux confins de l'univers. Une énergie que l'on peut aussi diriger : par les mains, par les yeux, par la pensée... Sur les autres ou sur soi-même... Qui vous donne des facultés que d'aucuns qualifieraient d'"extraordinaires" et qui ne sont pourtant que l'expression de la nature.





Le troisième millénaire verra l'étude systématique de l'origine de ces forces, et enseignera à chacun leur utilisation rationnelle. Pour y parvenir, on peut utiliser les techniques de visualisation par exemple. Ou n'utiliser aucune technique du tout. On peut se concentrer sur une pratique : le ventre se gonfle à l'inspiration, puis se creuse et vient appuyer sur le diaphragme à l'expiration. Ou mettre l'accent sur la longueur de l'expiration, comme dans le bouddhisme tantrique ou Zen... Ou travailler au contraire la longueur de l'inspiration, comme dans les exercices respiratoires de l'Aïkido. On peut faire, ou ne pas faire. Pourvu que la respiration soit vraie. Dans tous les cas, des effets étonnants se feront alors sentir. Que l'on adhère ou non à ces idées. Et ça, ce sont des faits. Bien-être, joie de vivre, sensations oubliées depuis l'enfance vont réapparaître. Pourquoi ? Auto-hypnose ? Effet placebo ? Point du tout... Revenons aux effets physiologiques de la respiration. La longévité des prêtres bouddhistes, et notamment des bouddhistes zen, est bien connue depuis toujours. On a d'abord cherché du côté de l'alimentation, végétarienne - elle joue aussi, sans aucun doute, son rôle -, avant de se pencher sur celui de la respiration. Les prêtres bouddhistes récitent des sûtras (okyo en japonais), d'une voix caverneuse, aux paroles prononcées à l'expiration, qui exercent une forte pression sur l'abdomen. Les Tibétains ont poussé cette pratique au niveau de l'art, avec une force dans le souffle que rien n'égale. Les prêtres shintoïstes également. Les prêtes occidentaux, n'ayant, comme force d'appui, que les sons fragiles du " notre père " vivent, c'est un fait moins longtemps. Car leur voix, plus haute, plus faible, ne permet pas d'exercer cette respiration profonde qui exerce une action déterminante sur la santé.





La réalité physiologique d'une bonne respiration est simple. La phase d'inspiration, lorsqu'elle est suffisamment longue, ample, exerce une pression sur un des centres fondamentaux de l'organisme chargé de réguler les fonctions involontaires dont nous parlions auparavant : le système limbique, ou rhinencéphale, qui est pratiquement un second cerveau. Cette partie du système nerveux est située derrière le nez. C'est pourquoi certains exercices du yoga s'appliquent à faire travailler l'inspiration par une narine, puis par l'autre, afin de donner une meilleure conscience du travail respiratoire. L'expiration lente, à son tour, en agissant de façon progressive et soutenue sur le diaphragme, va stimuler les fibres nerveuses dont la concentration est très grande au niveau du plexus solaire. Le diaphragme, ainsi sollicité à l'inspiration comme à l'expiration, va améliorer ses capacités de fonctionnement, entraînant une plus grande oxygénation de l'organisme et ses corollaires : une meilleure combustion, une élimination plus rapide des déchets métaboliques, souvent générateurs de fatigue. Par ailleurs, le foie, qui est accolé au diaphragme, monte et descend avec cet organe à chaque inspiration. Il subit ainsi, lors des phases de rétraction, un véritable massage... La plupart des organes, d'ailleurs, situés sous le diaphragme, subiront également un massage et une meilleure oxygénation : rate, reins, colon...


A la technique se joint l'état d'esprit : on doit pratiquer sans but, sans volonté de quelque gain que ce soit. La voie consiste seulement à porter attention à sa respiration, sans autre désir. Anàpànasati : Ana : inspiration. Pana : expiration. Sati : la prise de conscience. Pour arriver à la libération de l'esprit et parvenir l'éveil. Peut-être... Et tant pis si j'en vois qui soupirent, au lieu de respirer, tout simplement...





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