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L'Esprit de la Forme
Synthèse Au Fil Du Temps










ÉCOUTER DANS LE SILENCE et VIVRE L'INSTANT


L'attention silencieuse éveille un sentiment de présence dans la pratique. Ce silence n'est pas simplement celui que procure un endroit calme. Le mental ne doit pas être focalisé sur l'attente d'un quelconque ressenti ou résultat, il s'agit d'une certaine manière de laisser faire et laisser venir à soi (Wuwei) pour mieux faire corps et vie. C'est un silence intérieur où l'activité mentale s'apaise pour s'ouvrir à la perception sensible de l'" ici et maintenant ". Dans l'expérience consciente de la posture et du geste silencieux se découvre alors l'union de l'immobilité et du mouvement …

La philosophie du Tao s'insère dans un vécu, une manière de vivre le moment présent, qui offre peu de prise à la maladie physique ou mentale. L'absolue quiétude est dans l'instant présent. Se ralentir, puis s'arrêter et ne rien attendre impatiemment des évènements, vivre l'instant. Penser que cela " est " dans l'instant.

Selon les conceptions actuelles des chercheurs, l'esprit idéal pour l'action (ou la non-action) est une combinaison d'absence de crispation physique, d'une capacité acquise à faire abstraction des sollicitations, doutes, distractions, craintes. Un tel état permet à l'énergie vitale de circuler sans entrave : les tensions physiques et psychiques disparaissent et les maladies n'ont pas de prise.

Si l'esprit est en paix, dans un état de sérénité, toutes les maladies disparaîtront car elles ne peuvent prendre racines. Si l'on parvient à cultiver le détachement, et à se vider de ses excès d'émotions (ce que propose la pratique de nos formes), la véritable énergie apparaît. Ceci n'est pas sans rappeler les notions chinoises du " wang o " où il s'agit de faire le vide en soi, de s'oublier soi-même, afin d'être plus réceptif ; et du " tzu jan " pronant l'efficacité du spontané au sens d'immédiateté.







WUWEI


Vide et non agir, ne veulent pas dire comme en occident, ne rien dire et ne rien faire. C'est dire et faire, mais autrement.

La spontanéité est le thème central de la pensée taoïste, les situations vont " d'elles-mêmes ainsi ", le " mystère " proposant son propre agencement. Il s'agit donc de laisser faire les choses, d'aller dans le sens des choses, de lâcher prise et " non agir " : ne pas accompagner l'action d'une volonté agressive et détourner le tissu fragile de la situation dans un sens particulier.

Il s'agit également de délaisser ses à priori par rapport à la situation, ses habitudes à juger, à classer, de mettre entre parenthèses l'avant (ancrage rémanent au passé) et l'après (projection hâtive ou illusoire) de la situation.

Les experts d'arts martiaux cherchaient le secret du " wang o " et du " tzu jan " au plus profond de l'âme humaine car il n'était pas question de ne pouvoir l'atteindre qu'une fois de temps en temps ! Ils devaient être capables de s'avancer au combat sans crainte, l'esprit libre et fixé sur rien, dans le rythme parfait, la pensée et le geste simultanés, pour que ne soient pas séparés " le ciel et la terre ", et par voix de conséquence leur tête de leur corps. Cette vigilance neutre est l'état d'esprit fondamental dans lequel ils devaient se maintenir en permanence. Travailler à l'édification en soi de la capacité de s'installer pleinement " ici et maintenant " dans un présent libéré du passé et du futur, dont la jouissance pourrait être une des clés du bonheur…







DANS LA PRATIQUE DES FORMES


Dans l'enseignement appelé " Zhan zhuang " (rester debout comme un arbre), tout comme la pratique des enchaînements de mouvements ( formes), il suffit de se tenir debout, détendu, l'esprit le plus vide possible, et de permettre aux énergies internes de monter et de descendre, défaire les tensions, les nœuds ou les stagnations au niveau du système musculaire, osseux et énergétique. On ne cherche rien d'autre. Zhan Zhuang représente l' " effort sans l'effort ", en utilisant un minimum de forme ou de technique, en mettant en pratique les principes du Wuwei ( non agir) et Wuji ( sans forme) d'une manière très directe.

En ce qui concerne le développement de la spiritualité, la pratique spirituelle du taoïsme se distingue par l'importance du corps en tant que laboratoire dans lequel le JING, le CHI et le SHEN s'affinent progressivement et se transforment jusqu'à un niveau d'énergie de plus en plus pure.

Dans cette approche de la pratique TAIJIQUAN & QIGONG, le corps et le qi ne sont rien de plus que l'objet de l'attention et de l'observation du pratiquant. Aucune posture ni forme de qi gong particulières, ni la visualisation, ni les techniques respiratoires ne sont requises ou mises en avant, et nous ne cherchons pas modifier le corps et l'énergie selon un but pré-déterminé.

S'il s'agit d'approfondir la conscience, alors on peut s'aider de n'importe quelle forme debout, assise, ou mobile qui nous est familière et confortable. L'important étant de mettre fin et de se libérer de toute représentation, de toutes références à des expériences passées concernant l'énergie. On ne doit pas avoir le sentiment de faire ou de se projeter vers un résultat : il s'agit plutôt d'expérimenter la réceptivité, la tranquillité et l'écoute. Il n'y a aucun effort à faire. En maintenant un état d'éveil, différents types de sensations et de sentiments peuvent surgir.

Petit à petit, l'attention se porte vers le champ d'énergie subtile du corps, le qi ou force vitale. On peut le sentir dans n'importe quelle zone du corps ou sur tout le corps. Les signaux les plus communs du qi peuvent survenir : fourmillement, chaleur, engourdissement etc, il convient alors de s'en servir juste comme d'un support pour l'attention.

Avec une écoute plus soutenue, une sensation d'énergie plus globale envahit le corps tout entier. La " pratique " consiste alors à permettre à l'attention de se maintenir sans effort sur le corps intérieur, sur le champ du qi qui s'y manifeste et dépasse peut être même les limites du corps. La respiration peut être ressentie dans le corps entier, comme si les cellules elles-mêmes inspiraient et expiraient.

Tout cela n'implique pourtant aucune image, aucune description, aucune désignation ou conceptualisation. Petit à petit, le corps lui-même devient plus transparent et la distinction entre celui qui fait, celui qui observe, et l'objet de l'observation commence à se dissoudre. L'attention dirigée commence elle-même à s'estomper et ce qui émerge, c'est Wuji, la conscience pure et simple.







LA CONCENTRATION DANS LE MOUVEMENT


Être parfaitement présent au moment d'agir sans être habité par un cortège de pensées diffuses, d'émotions, de doutes, sans se mettre à vagabonder intérieurement, sans "penser à autre chose", est chose délicate. C'est la condition particulière de l'homme : une conscience à éclipse, immature sans doute par rapport à ce qu'elle pourrait être, plongeant constamment tel le dauphin, "sous le seuil", celui qui sépare la conscience claire et aiguisée de ce qu'il y a en dessous.

La concentration recherchée se présente ici moins comme une hyper attention à des points précis accompagnée d'une hyper motivation, que comme une attention ouverte et sereine à l'ensemble des éléments, et sans focalisation excessive.

Cette attitude d' " attention vigilante mais détendue ", permet la parfaite utilisation des réactions acquises à force d'entraînement qui ne passent pas uniquement par le système nerveux central mais par les centres nerveux complémentaires du corps. Comme le sabre " qui jaillit de la surface d'une eau calme " le geste juste, adapté à la situation, anticipant sur des signes invisibles, ne peut naître que de cette vigilance ouverte décontractée, complètement consacrée à l'autre et à la situation.







MAINTENIR LE CŒUR EN PLACE


Quand il n'y a rien dans le cœur, l'esprit est vide et vif. Dès qu'il y a quelque chose, il n'est ni vide ni vif.

" II faut retenir les bénéfices du Taiji au niveau du psychisme. L'exercice, cela est couramment prouvé, régularise les sentiments excessifs et maintient le cœur en place. Il n'existe pas, chez nous, (en Chine) de séparation entre le corps et le psychisme. Le psychisme est une émanation énergétique des organes. Une seule et même énergie circule sous des manifestations différentes ; c'est toujours la même unité énergétique.

Maintenir, le cœur en place, c'est donc, harmoniser l'activité mentale des cinq organes, foie, cœur, rate, poumon et rein. La colère lèse le foie ; la grande exubérance, le cœur ; les préoccupations, la rate. La tristesse endommage le poumon ; la peur, le rein. Lorsque l'homme ou la femme, cesse d'être la victime de ses émotions et des pulsions de l'instinct, son corps et son esprit libérés connaissent leur mystérieuse essence. Voilà le but ultime de notre taiji ; le sens de cet art interne, par excellence. " Docteur Huang







DETENDRE, ET PORTER SON ATTENTION


" Les Chinois n'ont pas la même sensation que nous du cœur. L'idéogramme avec lequel ils l'écrivent représente pourtant l'organe et il signifie aussi les sentiments. Mais en plus il réconcilie l'opposition, pour nous familière, du cœur et de l'esprit. Le cœur chinois englobe l'ensemble de ce qui concerne notre conscience, intérieurement celle que nous avons de nous-mêmes, extérieurement celle du monde alentour.


(Xin)


L'idéogramme cœur représentait à l'origine l'organe dans sa double particularité : être le seul organe vide, et le seul ne produisant rien d'autre qu'une impulsion vitale. Beau programme pour l'empereur auquel cet organe unique est associé, mais aussi belle image pour cet empire dont notre corps est le territoire et notre esprit le souverain.

DÉTENDEZ-VOUS ! FAITES ATTENTION ! Ces deux injonctions en français qui ne sont reliées que par leur opposition, sont pour l'esprit chinois appariées comme les deux versants d'une montagne ; elles concernent toutes les deux le cœur-esprit.


(Fangxin)


Détendre, c'est desserrer. Se détendre, c'est étendre sa conscience dans un rapport paisible avec l'endroit qui nous entoure et le temps qui nous accueille. Cet élargissement du cœur-esprit est désigné en chinois par un verbe dont les nombreuses significations tournent toutes autour d'un mouvement centrifuge d'agrandissement, d'épanouissement, de relâchement d'une tension, d'une aisance retrouvée. L'idéogramme fang associe un signe évocateur des champs avec le dessin d'une sorte de férule tenue en main. Il désignait à l'origine ces bovidés que des enfants mènent paître avec un bâton et une corde et qu'ils libèrent une fois parvenus à l'herbage. Se détendre, c'est relâcher cette méfiance involontaire que peuvent nous inspirer le monde et parfois nous-mêmes.


(Xiao xin)


Lorsqu'au contraire, la situation peut présenter un danger, il faut concentrer son attention. Pour dire " faire attention ", le chinois emploie une expression similaire à celle que nous venons de voir dans laquelle le verbe fang est remplacé par le mot xiao dont le sens usuel est " petit ", mais qui, à l'instar de fang, est ici employé comme verbe dans le sens de " rapetisser, resserrer". Faire attention, être vigilant, c'est retendre son cœur, concentrer notre perception de ce qui nous entoure, comme les chats aux aguets rétrécissent leurs pupilles. " Cyrille Javary







LE TOUT et LES PARTIES


La psychologie moderne souligne avec juste raison, dans nos perceptions sensorielles, la suprématie du tout à l'égard de l'expérience des parties ; car le tout est d'une certaine manière plus qu'une simple addition des parties, ces dernières ne trouvant leur identité que si elles sont considérées dans le tout.

Cette pensée n'a pas fait son entrée dans la vie spirituelle occidentale avec la psychologie moderne. Elle est une attitude qui résurge en Occident et dont l'initiateur serait Platon ; de son côté l'Extrême-Orient n'aurait jamais abandonné cette manière de considérer.

Dans l'art oriental par exemple l'arrière-plan se trouve inclus comme partie intégrante, ce qui provoque : " une vaste vibration sans forme et sans fin, semblable à un écho insonore ". Ce que l'Orient appelle : " Connaître le sans forme dans la forme ", en d'autres termes : " Etre transporté par le formé au-delà du formé, jusqu'à une ampleur et une profondeur infinies ". La forme est cœur, et le cœur est forme : tout reste un " mystère ouvert ", sans partage entre l'intérieur et l'extérieur. Le "sans-forme" en Orient n'est pas l'informe ou le chaotique, mais l'insaisissable et l'inconnaissable en un mot le mystère... qui ne serait pas un mystère " mystérieux " mais un mystère d'expression...

Ce qui nous importe pour notre réflexion c'est la sensation de ce mystérieusement ouvert, de ce concrètement intuitif, qui s'écoule dans l'arrière-plan d'un toujours présent demeurant insaisissable. Si l'Occident a souvent surestimé l'action ordonnée par une pensée conceptuelle tandis que l'Orient vivait d'une pensée formelle concrète fondée sur une intuition " harmonique ", il faut retenir que ces deux façons de penser peuvent se compléter mutuellement pour devenir fécondes.








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