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L'Energie ?
par Odile Rouquet, danseuse, chorégraphe, kinésiologue


La tête aux pieds. Les pieds à la tête / 1991. Diffusion Recherche en mouvement



L'Energie ? force en action.
Verticalité et création.


Quand une force est mise en action, elle produit de l'énergie. On peut parler d'énergie mécanique d'un ressort tendu ou d'un gaz comprimé, par exemple, d'énergie cinétique d'une masse en mouvement, d'énergie calorifique, d'énergie nucléaire, d'énergie chimique... Tout système, toute substance possède une énergie potentielle. Dans ce sens, le corps est une usine très sophistiquée qui sait utiliser les énergies potentielles de ses différents systèmes et les transformer.

Les aliments, par exemple, sont des sources d'énergie. Si on s'imagine la transformation chimique que subissent les aliments en devenant glucides, lipides et protides, on ne peut qu'être émerveillé de cette sophistication du traitement énergétique. Le corps humain sait à la fois, choisir au départ des sources énergétiques très riches et amoindrir les déperditions d'énergie. Les ruminants se nourrissent de foin, d'herbes. Parce que l'apport en énergie est faible, ils sont obligés d'ingurgiter d'énormes quantités par jour. De par son poids, l'oiseau a besoin de trouver en permanence de la nourriture disponible pour compenser les pertes de chaleur qu'il subit. Temps passé à se nourrir, temps non disponible pour d'autres activités... Apport en énergie plus grande, énergie disponible pour des activités autres que celles de survie...

Il a fallu tout cela pour parvenir au processus de verticalisation. L'homme a appris à être un transformateur d'énergie de plus en plus sophistiqué, à tirer parti de la moindre force. Toute transformation demande, en effet, une quantité d'énergie considérable. Une chenille pour devenir un papillon ne dévore rien qu'un arbre entier, en un très court temps. L'homme utilise jusqu'au déséquilibre dû à la position debout, pour recharger la réticulée. A la différence de l'animal protégé par le sol et par la structure osseuse du dos, l'homme s'est rendu vulnérable en exposant l'avant de son corps. Mais, il en tire l'avantage d'augmenter la surface de contact de son système nerveux et ainsi le réseau d'informations produites par les sens. Cette richesse d'informations, ce rapport énergétique permet d'accéder au langage, à la création.

Ne gaspillons-nous pas ce beau potentiel énergétique à une lutte contre des forces contradictoires et non à un combat ? S'il y a trop d'hémorragies énergétiques, que reste-t-il pour cette transformation? Quand le cerveau est trop occupé à régler de nombreuses informations contradictoires suscitées par une mauvaise coordination, il ne peut donner une réponse appropriée à d'autres stimuli. On parle de seuil de tolérance de stress du cerveau. Il s'agira d'abaisser la quantité d'informations contradictoires pour obtenir la réponse motrice correcte et libérer le cerveau pour créer.


Un système qui s'isole, s'épuise aussi ou devient dangereux car l'énergie libérée n'est pas transformée. Il a besoin de collaborer avec d'autres unités. La collaboration ne nie pas l'opposition, la diversité. Elle s'en sert. Le puissant système des glandes est chaotique mais, s'il est régulé par le système nerveux, il propulse tous les autres, systèmes du corps. Il s'autodétruit dans le cas contraire. On serait étonné d'entendre le rythme chaotique de chaque cellule cardiaque. Pourtant, l'ensemble apparaît comme un rythme régulier. La puissance du chaos se révèle quand existe une transmission d'informations.

L'isolement va vers l'appauvrissement d'un système, vers un retour à l'inertie, propre à la matière inanimée. Le passage à la collaboration est un combat qui aboutit à une transformation, caractéristique de la matière vivante. "Avoir un centre" suppose cette fluidité entre les systèmes, cette coordination et cette gestion du potentiel énergétique. On peut s'imaginer ce centre comme une réserve d'énergie, un "moteur tranquille", souvent représenté, sur les figures symboliques, par un tourbillon limpide. Cette énergie du centre peut alors être dirigée vers un but particulier. Créer implique de canaliser l'énergie, parfois de la pressurer pour arriver à une transformation. De fait la formation des cristaux nécessite une très grande pression. Leur limpidité s'enracine dans ce déploiement d'énergies. Toute transformation a besoin de ce cocktail d'énergies.


L'Energie ? Particules et vibrations.
Les systèmes analogiques.


Trouver ce " centre ", se reposer sur ce potentiel énergétique, l'utiliser pour trouver l'expression et de la création, est le but du long apprentissage de la danse. Le corps devient un système ouvert où les forces des différents systèmes collaborent.

On peut se servir d'analogies qui mettent en relation trois paramètres tels que d'où l'on vient, où on est, et où on va, avec, respectivement, le passé, le présent, le futur, ou encore le dos, le milieu, l'avant ou bien encore le sacrum, le sternum, l'occiput, et encore glande pinéale, corps mamillaire, hypophyse, qui sont trois glandes du cerveau... Il s'agira de bouger sans perdre aucun de ces paramètres. Le système d'analogies permet d'étoffer une réalité très appauvrie par la traduction en mots.

On peut aussi en parler en termes d'énergie, ce qu'on entend souvent dans les cours de danse. Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas un mot qui soit utilisé pour tout et n'importe quoi, et qui perde alors de son efficacité. Depuis Einstein, nous savons que la lumière existe à la fois sous la forme de particules et d'ondes. Les particules sont expérimentées sous l'aspect de la forme, de la substance, l'onde sous la forme de vibration. La vibration serait comme la mise en action de la substance. Dans cette optique, en regardant un corps, on peut soit voir l'arrangement des particules, comme on l'a décrit dans ces articles, soit voir les vibrations qui les animent. Point de vue "énergétique"?


Revenons à la forme du conte, forme plus adaptée à cet usage... Un corps qu'on verrait en ondes, serait une antenne spiralée, traversée par un courant d'informations captées à la prise de terre et à la prise de ciel. Les membres, canaux branchés horizontalement distribueraient ces informations, une fois transformées. On définirait plusieurs couches dans l'épaisseur de cette antenne, en fonction de la densité des tissus qui la composerait. Il y aurait une couche formée par les os, la couche la plus dense, conduisant donc les courants les plus forts, une couche formée par les tissus mous du corps - les organes et muscles - et une couche plus superficielle sous la peau. La couche la plus dense personnaliserait l'essence de la personne, sur la couche moyenne s'imprimeraient les émotions et la plus superficielle servirait de frontière, de protection.

Comme le courant d'une rivière forme des tourbillons lorsque le cours d'eau décrit des méandres, les courants terre/ciel et ciel/terre formeraient des zones tourbillonnaires à chaque courbure de la colonne vertébrale, faisant naître ainsi des centres de force. Il s'agirait de ne jamais perdre son branchement à la terre ni son branchement au ciel, ni son branchement aux autres. En ouvrant, un peu plus ou un peu moins, les valves des prises de terre/ciel/autres, on pourrait, sans jamais les déconnecter, activer un pôle davantage que l'autre, selon les besoins de l'expression. Un peu plus de poids? Le sacrum et les pieds s'inspireraient plus du sol. Un peu plus de légèreté? la tête se brancherait plus dans les étoiles. Il faudrait faire attention à ce que les trois couches restent attachées au talon, pour qu'elles puissent dialoguer sur toute leur surface. A la longue, le nœud se dénouerait tout autant, lorsque les pulsations sont trop tournées vers le ciel, que lorsqu'elles tirent trop vers le bas.

Voir davantage les particules, voir davantage les vibrations, cela dépend de son tempérament, mais n'est-ce pas une seule et même chose? Ne peut-on pas remplir les formes et animer les matières? Quand on danse, ne réconcilie-t-on pas "image et ressemblance"? Présence du danseur, expression ne naissent-elles pas d'une vie derrière la forme?

Le chemin de la verticalisation passe par ce processus de différenciation. Chacun d'entre nous est sur ce chemin, un chemin que nous traçons nous-même par notre façon de combiner les différents paramètres. Unique est notre marche, unique notre manière d'être debout. Uniques sont nos danses qui naissent au cours de ce voyage et qui font résonner de plus en plus finement nos accords intérieurs. Chercher l'équilibre pour ce mettre librement en déséquilibre, s'exposer volontairement, le décider, serait-ce un des secrets que nous enseigne la verticalisation ? Nous entourer ainsi, d'une symphonie de sons, de couleurs, de saveurs, de parfums, de mouvement, en tirer une mélodie unique à nous, notre danse …


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