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L'ENERGIE au travers du MOUVEMENT
Par Li Ghanghua, puis Catherine Despeux





L'énergie dans le mouvement
Par Li Ghanghua



Chaque mouvement correctement accompli, et stable, est un exercice de l'énergie qui s'accroît graduellement. L'eau peut user les montagnes. Par la douceur on vient petit à petit à bout de ce qui est dur. Cette énergie intérieure nourrie par le souffle et l'esprit est bien plus forte que la force extérieure. C'est pourquoi on dit: " être d'abord dans l'intention et ensuite dans le corps " et " l'énergie s'obtient par la souplesse ".


Les mouvements sont réalisés sans rupture d'une manière harmonieuse, de bas en haut et de haut en bas, de droite à gauche et de gauche à droite, selon des lignes circulaires. C'est ce qu'on appelle énergie d'enroulement. La direction de l'énergie se change tout le temps en suivant les gestes à partir de l'axe vertical. Il est profitable de connaître et de sentir où se trouve la pointe d'énergie, c'est-à-dire son point d'arrivée et le parcours de l'énergie.






Selon la pratique du Tàiji quân l'énergie vient des pieds qui sont les racines, passe par les jambes, monte à la taille qui est le centre de contrôle et s'épanouit dans les mains et les doigts. Le parcours des pieds aux jambes et à la taille est absolument homogène. Ainsi on peut avancer et reculer à l'aise, utilisant l'énergie au moment voulu et à la condition requise. Cela veut dire que, dans l'entraînement, l'énergie doit suivre son parcours naturel d'une manière harmonieuse et équilibrée. Les fleurs s'épanouissent grâce à la sève intérieure.


Prenons comme exemple le mouvement de transition correspondant au "repousser" du Grand Enchaînement: les pieds prennent appui sur le sol et sont les racines de l'énergie, car si on pousse une charrette, l'appui sur le sol est nécessaire. Il est impensable de pousser une charrette avec les pieds suspendus. Les racines de l'énergie sont les pieds. La jambe droite fléchie vers l'avant et la jambe gauche tendue (pressant) (ndrl) vers l'arrière se posent comme deux rails où passe l'énergie. " L'énergie passe par les jambes. "






Durant le déplacement du centre de gravité de l'arrière vers l'avant, la taille s'élevant d'abord et s'abaissant ensuite, effectue une légère courbe afin de canaliser l'énergie et contrôler le mouvement. De même pour les pivots du corps, c'est la taille qui dirige le mouvement et canalise l'énergie. " La taille est le centre du contrôle ", c'est-à-dire qu'elle est le moyeu, le centre du mouvement.


A travers le dos et la colonne vertébrale, l'énergie s'étend et se dirige vers les épaules, les coudes, les paumes qui s'appuient vers l'avant jusqu'aux doigts qui sentent parfois l'arrivée de l'énergie. C'est ce qu'on appelle " l'énergie s'élance du dos et se manifeste dans les doigts ".


Il convient de noter que chaque déplacement de la pointe d'énergie doit suivre le même processus : pieds, jambes, taille, dos, bras, mains. Cependant, en dépit des gestes successifs, il faut éviter des à-coups, des saccades, et à plus forte raison des interruptions. Le tout se réalise d'un seul trait. Une partie bouge, la totalité bouge, une partie s'arrête, la totalité s'arrête. La poitrine et le ventre se meuvent suivant la direction de la taille; il ne faut pas crisper les régions pectorales et ventrales et les retenir immobiles. Ainsi le Taiji demande une grande harmonie des gestes qui, dans l'alternance et la complémentarité du Yin et du Yang, sont conduits dans une forme spirale. Yin et Yang forment un cercle sans faille.











La force intérieure
Par Catherine Despeux



Le terme jing était employé dans les textes anciens bien qu'assez rarement avec le sens de force. A l'heure actuelle, il désigne dans le langage courant le ressort d'un individu, sa vitalité, son dynamisme, en mettant l'accent sur l'intériorité de cette force, qui précède la forme musculaire " lu " (ndlr) et lui préside, et qui est liée à l'attitude psychologique d'un individu. C'est aussi le sens qu'à ce terme dans le Taiji quan.


Les maîtres définissent le jing comme la manifestation du " souffle véritable " sous sa forme dynamique. Ils établissent donc une distinction entre le souffle, élément circulant dans le corps, et la force issue de ce souffle. Mais cette distinction semble assez superficielle, car les textes utilisent parfois le terme de souffle là où l'on attendrait celui de force intérieure et vice versa. C'est vraisemblablement pour se distinguer de l'école exotérique " shaolin " (ndlr) que les maîtres de l'école ésotérique " wudang " ( ndlr) se sont servis du mot jing et l'ont érigé en un nouveau concept.


Le jing est aussi défini comme le " souffle central qui part du cœur ". Chen Fake définit la force intérieure du sinciput comme " le souffle central du cœur au point Baihui (sinciput) ".


Le souffle central part du cœur, passe dans les vertèbres cervicales, parvient au point Baihui ; les artères de souffle sont débloquées et la force intérieure se répartit dans les quatre membres. Le jing ne peut en effet apparaître que si le souffle circule sans aucune gêne dans toutes les parties du corps, d'où la nécessité d'un entraînement intensif à l'enchaînement individuel, avec lenteur et souplesse, accompagné de tous les exercices de respiration et autres, permettant de débloquer le souffle dans le corps.


Samourai de Chomo

Samourai de Chomo




Le jing est conçu dans le Taiji quan comme une force enroulée, force de repli ou de déploiement, fine et ininterrompue. Les maîtres de l'école Chen ont forgé l'expression " force enroulée comme un fil de soie " (chansi jing). Cet enroulement ne caractérise pas la force elle-même, mais la façon dont on doit l'utiliser. Et Chen Fake, maître contemporain de l'école Chen, nous précise que " la force intérieure du Taiji n'est pas un cercle horizontal, mais une spirale qui s'élève dans l'espace. "


Dans le Taiji quan tushuo de Chen Pinsan, nous trouvons deux illustrations de la force enroulée comme un fil de soie. Il est à noter que Chen Pinsan emploie parfois pour le jing désignant la force intérieure, le caractère homophone jing désignant " l'essence séminale ", ou la quintessence d'une chose.


Le premier schéma représente la force enroulée qui doit être utilisée dans les membres :






Le second schéma a pour titre : " Dessin de l'essence (force) enroulée comme un fil de soie dans le Taiji quan " et est accompagné du commentaire suivant : " J'ai étudié la représentation circulaire du Taiji selon les différents philosophes, et je me suis rendu compte, que pour exécuter (correctement) le Taiji quan, il faut comprendre ce qu'est l'essence enroulée comme un fil de soie. L'enroulement comme un fil de soie est la méthode pour faire mouvoir le souffle central. Qui ne le comprend, ne comprend pas la boxe. Les premières spirales blanche et noire représentent le Yin et le Yang du Taiji existant naturellement au sein du Wuji" . Les deuxièmes spirales blanche et noire représentent le Taiji engendrant les deux principes primaires (le Yin et le Yang) ; les deux principes primaires sont le Yin et le Yang, ou le ciel et la terre. Les troisièmes spirales blanche et noire représentent l'homme.






C'est par les souffles du Yin et du Yang et des cinq éléments que l'homme existe. La quatrième spirale noire représente ce que Mencius appelle " le souffle cosmique ". La quatrième spirale noire représente le souffle et le sang du corps humain ; unis au sens juste du Dao, c'est le souffle correct, c'est-à-dire le souffle cosmique. La cinquième spirale blanche représente ce par quoi l'esprit du Dao dirige le souffle. Le souffle sans le Principe ne peut se manifester, c'est un principe inhérent à toute chose. La cinquième spirale noire représente l'esprit de l'homme, ou ce que les Sages ont appelé récemment " l'ego ". Le point blanc au sein du noir représente les pensées contrôlées, le point noir au sein du blanc représente les pensées égarées.


Le Sage, lui. garde les pensées contrôlées et chasse les pensées égarées. Les pensées égarées ont été nommées par Gaozi la nature des désirs et des appétits . Tous la possèdent, mais celui qui peut chasser cette seule idée du moi et faire en sorte qu'elle ne naisse plus jamais devient purement comme le ciel et exécute les mouvements du Taiji quan en accord avec le mouvement du mécanisme céleste. Il n'est rien qui ne soit spontanée, vivacité à l'image du Taiji, et qui ne s'écoule de notre corps. Les trois grandes spirales intérieures expliquent l'origine du Yin et du Vang. Les trois spirales intérieures indiquent que le Yin et le Yang ont un gouverneur (L'idée des trois cercles intérieurs est entièrement dans le troisième cercle intérieur, qui est le fondement donné à l'homme. Ce n'est pas la peine d'en faire un autre schéma). "


Ce commentaire est imprégné de philosophie néoconfucéenne, notamment de la distinction entre le souffle et le principe. Il met aussi en relief la nécessaire conformité des actes de l'homme au rythme de la nature et du mécanisme céleste. Cette notion de forces cycliques se rencontre très tôt dans les écrits chinois relatifs aux arts de la guerre. Ainsi, dans le Sumi bingfa, Sunzi écrit-il : " Les forces extraordinaires s'achèvent puis se reforment, cycliques comme les mouvements du soleil et de la lune. Elles expirent puis renaissent à la vie, se répétant comme les saisons qui passent . "


L'école Chen distingue en particulier deux formes de force intérieure :

1) La force intérieure enroulée en sens normal (shun chansi jing), déployée lorsque les paumes des mains sont tournées de l'intérieur vers l'extérieur ; dans ce cas, elle part du cœur. Circule dans les épaules et parvient aux doigts. Cette force est aussi appelée " la force qui pare " (peng jing).






2) La force intérieure enroulée en sens inverse (ni chansi jing) déployée quand les paumes des mains sont tournées de l'extérieur vers l'intérieur. La force part alors des doigts, circule dans les épaules et parvient au cœur. Elle est aussi appelée " la force qui tire en arrière " (lu jing).






Dans son ouvrage, Chen Pinsan donne deux schémas représentant ces deux forces enroulées autour du corps. Le commentaire suivant les accompagne : " Tout le corps est une force spiralée. L'on distingue globalement une force enroulée vers l'intérieur et une force enroulée vers l'extérieur ; l'une ou l'autre est émise, selon le mouvement exécuté... Il y a une seule force et non plusieurs : c'est le souffle émis du cœur. Si l'on est bien centré, il est le souffle central qui lorsqu'il est entretenu devient le souffle cosmique. "






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