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Circulation énergétique
par Thérèse Bertherat


Le corps a ses raisons / 1976 / Edition du Seuil



Vous vous épuisez. Votre énergie, elle, ne s'épuise pas. Elle circule. De l'instant de votre conception jusqu'à celui de votre mort. Elle fait son trajet naturel à travers le labyrinthe hermétique de votre corps jusqu'à ce qu'elle rencontre un obstacle. Alors elle bute, ne continue plus son trajet, mais se détourne et se dissipe. Vous dites alors que vous êtes épuisé, que vous n'avez plus d'énergie. Mais vous l'avez, l'énergie. Elle est là. Seulement vous l'empêchez de vous servir de la manière la mieux appropriée à votre bien-être. En l'obligeant à se détourner, vous la tournez contre vous-mêmes.

C'est notre énergie donc qui donne à notre corps son unité en animant chaque organe, tous en mouvement eux aussi. Nous avons déjà vu comment la prise de conscience du corps comme une totalité dont chaque élément dépend de l'autre est nécessaire à l'équilibre et à la santé de l'être. Maintenant il est temps d'aller plus loin. Il est temps de nous souvenir d'une réalité que les préoccupations de notre civilisation nous font souvent négliger. Il est temps de prendre conscience du rapport entre le Tout qui est notre corps et le Tout qui est l'Univers, entre le mouvement continuel des organes de notre corps et le mouvement de la terre et du soleil.

A notre époque nous cherchons tellement à progresser que notre regard est toujours porté devant nous. Nous sommes tellement intéressés par la spécialisation que notre champ de vision est devenu étroit. Et si nous ouvrions les yeux sur ce qui ne " progresse " pas si nous regardions autour de nous les phénomènes immuables ? Nous observerions que le rythme cosmique qui règle les cycles du soleil et de la lune, le jour et la nuit, les saisons, est le même auquel obéit le mouvement de notre énergie vitale. Nous observerions que notre corps, sans attendre le consentement de notre " intelligence ", reconnaît les lois cosmiques et s'y soumet. Et quand nous aurons compris comment notre corps vit sa vie, nous serons peut-être prêts à l'aider à fonctionner au mieux en le soignant et en l'entretenant par des méthodes qui tiennent compte de son rapport avec la nature. Le corps est une unité indivisible et inséparable de celle du cosmos ; la prise de conscience de cette vérité est indispensable à son équilibre, sa santé.

 Méridiens
Souvent ceux qui vivent près de la nature reconnaissent plus facilement que leur corps en fait partie. Ma grand-mère, par exemple, qui était de la montagne et à qui les femmes du village faisaient appel pour leurs accouchements, savait d'avance quelle nuit elle aurait à se lever : elle n'avait qu'à compter les changements de lune. Elle m'apprit aussi que ces changements perturbaient la régularité des cycles ovariens. Elle se gardait bien de semer ses légumes à racine à la lune montante ou de couper ses cheveux à la lune décroissante, si elle voulait que la repousse soit abondante. Les physiologistes classiques ont observé que chaque organe reçoit sa ration d'énergie selon les heures du jour et selon les saisons. Que les crises d'asthme aient lieu le plus souvent à l'aube n'est pas dû au hasard mais au fait que c'est vers trois heures du matin que les poumons sont au summum de leur activité. Les accidents cardiaques sont les plus fréquents vers midi : l'heure énergétique maximale du cœur. Le gros intestin reçoit sa plus forte ration d'énergie entre cinq et sept heures du matin, ce qui explique la normalité des selles matinales...

Il est possible de débloquer l'énergie et lui permettre de suivre son circuit naturel à travers les organes du corps en agissant non pas sur les organes eux-mêmes mais sur leurs projections sur l'enveloppe du corps. L'unité corporelle ne se limite pas à une conscience de l'interdépendance de l'avant et de l'arrière du corps, il faut comprendre aussi le rapport entre l'intérieur du corps et l'extérieur. En fait, les organes internes se " projettent " sur la peau et peuvent être soignés depuis la peau par des techniques qui ont leur source dans une médecine vieille de 5000 ans : la médecine chinoise. Quand le rythme naturel de la circulation de l'énergie est perturbé par une cause interne, un excès alimentaire, par exemple, ou externe, un brusque changement climatique, l'organisme sain met en marche son propre système de régulation. Il suffit d'attendre que " ça passe ". Mais il arrive que ce système naturel de régulation soit débordé, incapable de faire face au désordre. L'énergie alors est détournée, dispersée. Il y a un trop-plein dans certaines régions, une pénurie dans les autres. Le fluide énergétique ne peut plus suivre son itinéraire naturel. Telles des écluses, les " points d'acupuncture " se situent tout le long de cet itinéraire et c'est par la régulation de ces écluses que la médecine chinoise assure la circulation normale de l'énergie à travers le corps entier.

Mais comment une petite piqûre d'épingle sur un point très précis de la peau peut-elle rétablir la circulation interrompue ? C'est que la frontière qui nous unit - ou nous sépare - du cosmos, c'est justement notre enveloppe : notre peau. C'est à la surface de la peau que circule l'énergie et c'est à la surface de la peau que se " projettent " nos organes profonds : cœur, poumons, reins, foie. Il est bien entendu que l'énergie circule aussi en profondeur, d'où l'usage par certains médecins de longues aiguilles qui peuvent transpercer le corps.

Ainsi par une mathématique rigoureuse, en combinant deux ou trois points sur la surface de la peau (on en compte près de 700), l'acupuncteur peut soulager spectaculairement et guérir les organes malades éloignés de ses aiguilles. D'ailleurs chez les grands acupuncteurs, l'élégance est même d'agir à distance, en évitant un traitement local trop direct. Et contrairement à une opinion courante, ce n'est pas avec un grand nombre d'aiguilles que l'on obtient le meilleur résultat; l'élégance consiste aussi à combiner les points de telle sorte qu'on en placera le moins possible.

Depuis toujours, l'acupuncture est la médecine préventive par excellence. Les mandarins de la Chine ancienne payaient leurs médecins pour qu'ils les gardent en bonne santé et suspendaient leurs paiements dès qu'ils tombaient malades. Le travail avec aiguilles doit être réservé aux médecins acupuncteurs. Il est possible cependant de soigner les désordres vertébraux et les contractures musculaires (et nous avons vu que d'après Mézières tout peut être affaire de muscles) par massage sur les points utilisés en acupuncture. Appelé en France " micro-massage " et en Amérique " acupressure ", il s'agit de masser (selon la tradition chinoise) avec le pouce ou avec le plat de l'ongle de l'index fléchi. Dans la mesure où, parmi les points longeant les deux côtés de la colonne vertébrale, se trouvent aussi ceux qui concernent les viscères, le fonctionnement interne de l'organisme s'améliore quand on soigne les désordres vertébraux. Il se peut aussi qu'en soignant une main ou un bras on améliore le fonctionnement des intestins ou du cœur ou des poumons dont les méridiens passent par la main.

A l'exception de quelques points interdits que l'on ne masse jamais, ce massage est sans danger. Il est important cependant de ne jamais masser sur une peau enduite d'un corps gras qui est un isolant, ce qui rendrait le travail inefficace ; ne jamais masser non plus s'il y a lésion de la peau. On trouve de nombreux petits manuels d'acupressure destinés à un public de non-professionnels. Il est vrai que le micro-massage donne des résultats spectaculaires, mais il demande une connaissance parfaite de l'anatomie et une extrême précision dans le repérage des points pour atteindre la racine du mal et guérir durablement.

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