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Le TAIJI QUAN
Par Cyrille Javary
"Cents mots pour comprendre les chinois"

puis

Par Catherine Despeux
Préface de Grégorio Mansur
"L'art du combat avec son ombre, l'esprit du Chi Gong et du TaiChi"







Par Cyrille Javary


Le Tai Ji Quan (parfois écrit Tai Chi Chuan) est un art corporel de plus en plus pratiqué en Occident. Les deux premiers caractères de son nom, "Tai Ji", sont ceux qui désignent le dessin du " grand retournement ". Le dernier, "quàn", composé du signe de la main surmonté d'une forme ancienne qui évoque l'idée d'un enroulement montrait à l'origine une main s'enroulant.


Le Tai Ji Quan est constitué d'une suite de mouvements lents et fluides destinés à favoriser et à réguler la circulation du souffle vital à l'intérieur du corps. À partir de traditions très anciennes, ses différentes formes actuelles ont été systématisées et développées au XIXe siècle par les sociétés secrètes qui cherchaient à délivrer la Chine de l'occupation étrangère, mandchoue et occidentale. Comme la logique de beaucoup de ces mouvements est issue des ans martiaux, les coloniaux, fort intrigués par ces exercices, imaginant que ceux qui les pratiquaient étaient en train de boxer avec leur ombre, les avaient appelés Boxers. De cette méprise vient la traduction souvent proposée de l'appellation Tai Ji Quan : boxe du faîte suprême, évoquant un sport brutal au service d'on ne sait quelle réalité transcendantale ! Plus conforme à sa pratique, dans laquelle la main parfois enroulée, parfois étendue, évoque la grande loi dont il s'inspire : tout ce qui s'étire (Yang) finit par revenir, tout ce qui se contracte (Yin) finit par s'expanser, serait de l'appeler : l'art (martial) du grand retournement.


La pratique du Tai Ji Quan est complémentaire avec une autre discipline physique chinoise également de plus en plus en plus pratiquée en Occident : le Qi Gong. Alors que le premier vise à faire circuler le plus fluidement possible le Qi (Chi, le souffle-énergie), le second cherche à le renforcer et à le concentrer pour le mettre à l'oeuvre de manière à le faire agir sur les organes et les méridiens, d'où ses importantes vertus thérapeutiques.






Par Catherine Despeux


En France, le tai-chi chuan (et, en pinyin, taiji quan) était encore peu connu en 1971, alors que je finissais d'écrire ma thèse sur ce sujet. C'était principalement le style Yang qui était enseigné par quelques personnes, lesquelles, de par leur formation, insistaient soit sur l'aspect esthétique de cette " danse avec l'ombre ", soit sur le travail corporel à une époque à laquelle toutes sortes de méthodes, telles la méthode Feldenkrais, la méthode Garda Alexander ou ce qu 'on a appelé l'" anti-gymnastique ", commençaient à fleurir. Son rôle martial était alors quasiment ignoré, si ce n'est de quelques-uns ayant appris le tai-chi de l'école Wu.


Nous sommes en 2009, quarante ans plus tard. Après avoir connu une éclipse en Chine durant une période autour de la Révolution culturelle (entre 1966et 1980), le tai-chi chuan a pris un nouvel essor pour atteindre aujourd'hui un développement sans précédent. Les écoles se sont reformées, des documents nouveaux sont apparus sur le village de Chenjiagou dans le Henan, berceau de cette discipline, et les monts Wudang dans le Hubei, lieu d'origine légendaire du tai-chi chuan, ont vu fleurir des écoles d'arts martiaux. En Occident aussi, cet art de combat est devenu florissant, la littérature sur le sujet abonde, différents styles sont enseignés : ceux de l'école Chen, très martiale, de l'école Yang, la plus répandue, des écoles Wu, Sun et Li, moins populaires. Nombreux sont ceux qui y trouvent une source d'enrichissement et de renouvellement.


Désormais, le tai-chi chuan fait partie du monde occidental, que ce soit dans le domaine des sports, des pratiques de santé, des arts martiaux ou encore des disciplines psychosomatiques alliant travail du corps et épanouissement de la personne.






Il convient de noter cependant qu'en Chine, ces multiples fonctions sont rarement séparées les unes des autres. S'il s'agit bien à l'origine d'acquérir une maîtrise martiale par la technique, celle-ci ne peut s'acquérir sans une connaissance de soi et de l'autre qui implique une discipline spirituelle pour parvenir à ce que les Chinois nomment la " réalisation du dao ". Lors d'un voyage aux monts Wudang en juin 2009, j'ai pu constater que les jeunes taoïstes s'exerçant au tai-chi chuan manifestent la perfection du geste et leur belle connaissance de l'art martial, mais aussi déploient une intériorité issue de leur longue pratique quotidienne de la méditation à laquelle ils s'exercent dans l'école d'arts martiaux, dans un temple ou dans un ermitage sur la montagne.


Comme dans les arts martiaux japonais, la puissance intérieure et martiale ne saurait être développée sans une maîtrise de l'esprit, car l'art du combat est aussi un combat avec soi-même pour ne pas avoir à lutte.

...

L'exercice du tai-chi ne se limite pas au temps de la pratique de l'enchaînement ou de la poussée des mains ("tuishou") ; il est constant. Je me souviens de deux occasions au cours desquelles Yao Longji, un élève de Gu Meisheng venu en France nous donner des cours, m'a conduite vers cette attention de chaque instant. La première fois, c'était un jour où nous devions aller à la mairie du 12ème pour établir sa carte de séjour. Je marchais devant lui dans la rue de Charonne, pressée d'arriver avant la fermeture des bureaux. Il me rattrapa et m'arrêta brusquement pour me tancer vertement : je marchais sans tenir compte des principes essentiels du tai-chi chuan. Il m'expliqua comment toute situation doit devenir un tai-chi, une unité ; je me pliai à cette leçon impromptue et bien sûr nous trouvâmes porte close à la mairie du 12ème.






La seconde fois, c'était alors que je faisais la vaisselle et nettoyais les assiettes par des mouvements qui ne partaient pas du yao, ce point ou cet axe central entre les deux reins ; il me montra comment le mouvement du bras devait être la résultante d'un mouvement de tout le corps formant un tout et tournant comme une roue autour du moyeu qu'est le yao. J'eus droit ensuite à une démonstration de balayage : le balai, prolongement de lla main, exécutait des cercles qui partaient toujours du yao, une véritable danse qui, hormis la beauté esthétique, avait l'avantage de se montrer très efficace à moindre effort.


Il existe constamment un va-et-vient entre l'exercice des règles de base, telles que " maintenir l'énergie au sinciput ", " distinguer le vide et le plein ", " former une roue avec les pieds et les mains autour de la taille (le yao) ", " effacer les traces ", " écouter avec les mains, puis avec les yeux ", et le yi, l'intention ou pensée créatrice qui guide la pratique ainsi que l'esprit d'où provient la pensée.


L'auteur nous rappelle que l'observation des règles dans le tai-chi est importante, mais que l'essentiel se trouve dans la démarche du pratiquant qu'il décrit avec précision et justesse. Il part d'une formule, par exemple " effacer les traces ", qu'il prend pour l'exercice du jour, puis se prête à un va-et-vient entre le mouvement, la perception qu'il en a, son esprit, ce qui change ; puis il revient à la concentration quand l'observateur se disperse trop et, progressivement, cela vit en lui, sans effort pour observer, sans conscience d'être observateur, sans intervenir : le wuwei de Laozi, non-agir ou non-interférence dans le cours des choses.






Un principe ne peut rester purement théorique, il doit se réaliser à travers l'exercice, notamment celui du corps. C'est ainsi que doit être comprise et vécue la pensée chinoise. Une amie chinoise me voyant écrire un article académique sur un point de l'histoire de la médecine chinoise me demanda à brûle-pourpoint : " Mais à quoi ça sert ? Quand tu tousses, tu n'es même pas capable de te soigner!" Ébranlée par cette remarque, j'en fis part à un ami, éminent japonologue et académicien, et lui demandai : " Mais à quoi servent toutes nos recherches académiques ?" Sur-le-champ et avec verve il me répondit : " Mais à la connaissance, bien sûr ! "


Dans les disciplines chinoises relatives à la santé ou à l'épanouissement de soi, les exercices du ch'i, le souffle/énergie, remplacent à bien des égards le travail occidental avec la parole au cours d'une analyse : construction ou déconstruction de soi, de son rapport à l'autre et à l'environnement. Il existe à partir des exercices du ch'i un véritable apprentissage d'une façon d'être au monde beaucoup plus facile à développer pour un Chinois qui baigne déjà dans cette approche que pour un Occidental qui a été coupé de cette attention à son corps interne, au sentir, à l'espace dans lequel il évolue.






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